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Empowerment :
commencer par prendre le pouvoir sur soi-même

Par Joël de Rosnay, conseiller du président d’Universcience, président de Biotics international

 Introduction au Forum Changer d’Ère#4
Cité des sciences et de l’industrie, 2 juin 2016

« Bonjour à tous. Bienvenue à la Cité des Sciences pour parler de ce beau sujet qu’est l’empowerment.

Il nous suffit, il vous suffit d’ouvrir la télévision, d’écouter la radio, de lire les journaux… pour comprendre et se rendre à l’évidence : le pouvoir est un enjeu quotidien et mondial. Qu’il s’agisse du pouvoir politique, du pouvoir industriel, du pouvoir scientifique ou associatif, c’est un enjeu majeur qui conduit à une lutte. Une lutte pour le pouvoir, une lutte pour prendre le pouvoir, une lutte pour exercer le pouvoir. Mais la vraie question que l’on peut se poser, au-delà de cette lutte et au-delà de cet enjeu, c’est : le pouvoir de qui ?

Le pouvoir seul ? L’exercice solitaire du pouvoir ou l’exercice solidaire du pouvoir ? C’est le thème même de ce Forum : est-ce que le pouvoir collectif et donc la décision collective sont possibles ? Beaucoup, dans les hautes sphères politiques et même dans le monde industriel, estiment que la décision relève d’une personne ou d’un petit comité, qu’il est impossible d’arriver à prendre collectivement des décisions, et donc d’exercer collectivement le pouvoir.

Je voudrais non pas jouer sur les mots, mais nuancer cette notion. S’agit-il de prendre le pouvoir ou de prendre du pouvoir ? S’agit-il de donner le pouvoir dans l’entreprise aux salariés, aux syndicats… ou s’agit-il de donner du pouvoir ? Et si on parle de soi, du pouvoir personnel : s’agit-il de se donner le pouvoir de faire les choses ou de se donner du pouvoir pour aider éventuellement et collectivement, qui est un aussi le thème du forum, le pouvoir pour prendre le pouvoir.

Donc je voudrais considérer cet aspect. «  Le » ou « du » pouvoir aux plans politique, industriel et, surtout, personnel. Pour le pouvoir politique, on assiste tous les jours à une crise de prise de pouvoir dans les partis politiques : entre les syndicats et le patronat ; entre le gouvernement et les syndicats. On va même jusqu’à un niveau de personnalisation étonnant : c’est la personne qui détient le pouvoir, qui devient l’acteur principal de ce jeu.

J’emploie volontiers le mot « jeu » ici, puisqu’on parle de « jeu de pouvoir ». D’ailleurs c’est le titre d’un des débats de ce Forum. Le jeu, au sens de jeu de simulation, de « war game », de jeu de guerre. Des jeux qui ont des règles, un gagnant, des perdants, des stratégies, des tactiques…

Or le jeu de pouvoir correspond à ces war games, avec des stratégies et des tactiques pour prendre le pouvoir à un moment donné, ou faire semblant de le prendre tout en laissant les autres s’engager jusqu’au bout et échouer parfois.

Politiquement on connaît la règle : c’est le vote -en principe démocratique- mais c’est aussi les manipulations du vote dans beaucoup de pays, la corruption souvent, mais c’est aussi la démocratie réelle du bulletin dans l’urne anticipée par les sondages d’opinion et revue par les référendums.

Concernant le pouvoir industriel, on commence à voir apparaître une nouvelle forme de pouvoir suite à l’aplatissement des structures pyramidales, grâce notamment au numérique, dans l’entreprise. Un nouveau management qui tend vers le lien social, le lien humain plutôt que la seule utilisation des technologies du numérique.

Je voudrais insister sur le pouvoir personnel. J’ai coutume de dire que si on veut prendre le pouvoir avec les autres, pas le pouvoir solitaire mais solidaire, il faut commencer par soi –même, par prendre le pouvoir sur soi. Or on remet cela souvent au lendemain… Rappelez-vous le terme de « procrastination ». On se dit : « je le ferai demain », « je le ferai plus tard »… et ce dans des secteurs déterminants : l’alimentation, l’environnement, la santé, son esprit et son cerveau, la création et la production. Prenons, ces cinq secteurs pour montrer comment on peut prendre du pouvoir sur soi :

  • L’Alimentation. Manger différemment c’est voter tous les jours pour l’environnement. Réduire la viande réduit les émissions de CO2, la consommation d’eau. Se nourrir différemment, faire le choix de tel aliment plutôt qu’un autre est une prise de pouvoir sur soi, qui conduit à des retombées importantes sur sa santé, sur le ralentissement du vieillissement.
  • L’environnement. Trier ses ordures ménagères c’est prendre du pouvoir pour préserver l’environnement. Consommer moins, jeter moins, réduire le gâchis… est une prise de pouvoir sur soi. Malheureusement, on remet souvent cela au lendemain. Mais c’est une prise de pouvoir qu’il faut décider régulièrement si on veut prendre le pouvoir avec les autres.
  • Le problème dans le domaine de la santé est que l’on s’en remet souvent à une ordonnance dès que cela ne va pas bien. On achète des médicaments en pharmacie, mais il y a aussi des produits naturels, qui fonctionnent très bien. Leurs combinaisons et leurs synergies sont parfois plus efficaces que des médicaments classiques. Le problème consiste à prendre le pouvoir sur soi pour se dire : « C’est cela que je veux faire plutôt que ça ! ». Et ceci, malgré la pression très forte des laboratoires.
  • Le pouvoir sur son esprit. On remet souvent au lendemain la possibilité de se former, d’apprendre, de se renseigner, de se cultiver, de lire ou de se connecter sur Internet pour faire la part des choses parmi toutes les informations que l’on reçoit en les comparant les unes aux autres. On dit souvent : « Je n’ai pas le temps… » ou « Ça prend trop de temps… » et on remet au lendemain. Prendre du pouvoir sur soi pour se cultiver et comprendre le monde qui vient, dialoguer avec les autres, grâce notamment aux réseaux sociaux, c’est une prise de pouvoir sur soi.
  • Enfin, la création. La création nécessite une prise de pouvoir sur sa vie, sur son organisation, de l’investissement, que l’on fait de son temps et de son information avec les autres, sa famille, ses collaborateurs dans une entreprise : « les Makers », les faizeux comme les appelle Alexandre Jardin, que j’ai traduit par « les doueurs » dans mon livre Surfer la vie. Ces Makers montrent l’exemple. Dans le monde entier, ils fabriquent des produits et ils partagent l’information. Ils ne déposent pas de brevet pour se protéger. Ils partagent leurs idées, leurs créations… de manière à ce que tout le monde en profite. C’est une forme d’empowerment collectif.

Voilà comment le pouvoir peut commencer : par la prise de décision personnelle, la responsabilité et le pouvoir personnel. Reste la grande question de la décision collective et du pouvoir collectif. Cela existe t-il ? Est-ce une utopie ? Les réseaux sociaux peuvent-ils nous y aider ?

C’est une grande question, dont on va débattre toute la journée au Forum Changer d’Ère, puisque c’est le thème même de ce forum. Pour beaucoup de politiques et d’industriels, c’est impossible, c’est une utopie, c’est « le foutoir ». Pour certains, que je connais bien et que j’admire, la démocratie participative ne peut être qu’un foutoir : « tout le monde dit n’importe quoi et fait n’importe quoi ». Or, les réseaux sociaux en apportant une information complémentaire (tous les réseaux sociaux, pas seulement Facebook ou Twitter) apportent la capacité de s’informer sur ceux qui exercent le pouvoir, donc de se consulter les uns les autres sur ce que l’on pourrait faire différemment.

On peut se demander comment vont s’exprimer ces décisions collectives, cette prise de conscience collective, cette action collective ? Je pense que le meilleur moyen de le faire, c’est par le respect des autres dans le collectif, la confiance et l’écoute.

Respect, confiance, écoute, permettent, dans le collectif, de prendre des décisions comme par une sorte de leadership « intermittent ». Je ne crois pas au Deus ex machina en haut de sa pyramide, qui décide tout seul pour tout le monde. Je pense de plus en plus, et j’en ai fait l’expérience dans des équipes de recherche, qu’il peut exister un leadership intermittent où les gens se font confiance pour prendre les décisions qui s’imposent.

Vous êtes là pour ça. Vous êtes de ceux qui vont changer le monde, vous avez déjà démontré votre empowerment en venant ici malgré les grèves, vous êtes là nombreux ! Vous venez, pour certains d’entre vous que je reconnais, chaque année. Vous faites donc déjà cet effort personnel de prise de pouvoir pour agir ensemble.

Vous n’êtes pas là tout seul pour prendre des notes sur ce qui va être dit, sur ce que les éminentes personnalités présentes au premier rang vont exprimer tout à l’heure. Vous êtes là pour faire quelque chose ensemble et agir. On en discutera dans les ateliers et pendant le déjeuner. Vous êtes là pour changer le monde, tant mieux ! Merci d’être venus ! Merci de votre empowerment personnel ! ».

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Autres liens :

- Joël de Rosnay dans la table ronde : Comment changer le pouvoir à l’ère des réseaux sociaux ?

- Voir sa concluson : « Perspectives« 

- Retrouvez Joël de Rosnay dans le webdoc du Forum.