Travail collaboratif : le problème numéro un du management opérationnel des vingt prochaines années
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- Les Di@logues Strategiques on 2 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques Non classé
(Les Di@logues Stratégiques® N°44 – 02/04)

En mars prochain paraîtra, aux éditions Vuibert, le nouveau livre de Serge K. Levan* consacré au  » Travail collaboratif sur internet « . Si l’on en croit Serge Levan :  » Le travail collaboratif n’est pas obligatoire. Il est juste essentiel, incontournable… et urgent ! « .


Véronique Anger : Quelle est l’idée générale de votre livre ? Avant tout, qu’est-ce que le travail collaboratif ?
Serge K. Levan : Dans son acception moderne le travail collaboratif traduit le fait de travailler  » ensemble séparément « . Les pratiques de travail en groupe ou en équipe (à distance ou non, synchrone ou asynchrone) sont des exemples typiques de travail collaboratif. Les personnes interagissent en vue de réaliser une œuvre commune. Ce terme désigne à la fois de nouvelles pratiques et de nouvelles compétences, de nouvelles formes d’organisation et de communication ainsi que de nouveaux environnements numériques de travail sur les réseaux (internet, intranet, extranet).
Aujourd’hui, le travail collaboratif se développe au sein de toutes les entreprises et plus rapidement dans les organisations dont le mode projet fait partie du cœur de métier. Il apparaît que la généralisation du travail en équipe sur les réseaux, grâce aux technologies de l’information et de la communication, bouleverse les pratiques traditionnelles du management en général et du projet en particulier. Il est clair que cette tendance va se généraliser dans tous les secteurs d’activités.
A ce jour, il n’y a aucun livre expliquant, à l’aide d’exemples faciles à comprendre par tous, en quoi consistent les  » bonnes pratiques  » de travail collaboratif. J’ai donc eu l’idée, une fois défini le concept de travail collaboratif  » moderne « , de présenter les méthodes et les outils permettant de développer ces bonnes pratiques tout en les illustrant par des cas concrets (agencement de plateau projet virtuel, co-pilotage, apprentissage des pratiques en équipe virtuelle,…). J’ai associé un sous-titre  » Méthodes et pratiques des plateaux projet  » parce que le travail en mode projet est vraiment un archétype des bonnes pratiques collaboratives.

VA : N’a-t-on pas déjà tout dit sur le travail en groupe en mode projet (on parlait d’ailleurs de  » groupware « ) et les NTIC ? Depuis quelques années, les cabinets de consultants rivalisent de  » solutions collaboratives « …
SKL : Il est vrai que par  » travail collaboratif  » certains désignent tout et n’importe quoi… Depuis une dizaine d’années, ils sont nombreux à  » surfer  » sur cette mode technologique et à proposer un cocktail d’outils miracles dédiés à cet usage.
Cela étant, je crois que nous sommes très loin d’avoir tout dit… En France, ce livre est le premier à traiter explicitement et en profondeur du travail collaboratif dans l’entreprise d’un point de vue opérationnel au niveau des usages. Les ouvrages sur le management de projet explorent essentiellement la préparation, la planification, le pilotage ou la gestion de projet, mais ils ignorent les aspects liés à la communication au travail, en d’autres termes, aux moyens utilisés pour transmettre et échanger de l’information, coopérer, se comprendre et se coordonner. Il me semble que la communication n’est pas une simple tâche du management de projet. Elle prime sur la planification et constitue la toile de fond du travail collaboratif. Si les processus baignent dans l’univers de la communication, c’est parce que cette communication est le support indispensable de pratiques collaboratives inhérentes à tout travail en mode projet.
Cela étant, dans l’entreprise, tout le monde ne travaille pas en mode projet. Certains travaillent en mode  » routine « . Pourtant, même en mode routine, la collaboration et la communication s’imposent.
Au-delà des structures et des conflits permanents qui ne favorisent pas la communication, la principale difficulté du travail collaboratif réside dans le fait que beaucoup d’entre nous n’ont pas encore parfaitement intégré l’usage des nouveaux outils de communication. Pour la plupart, le travail collaboratif se réduit principalement à utiliser des systèmes de messagerie et de partage de fichiers… Les gens ne se sont pas encore appropriés un registre suffisamment large de  » logiques et de règles d’usage  » de ces outils pour tirer pleinement parti des nouvelles formes de travail qui sont désormais possibles. Or, le travail collaboratif passe par une meilleure maîtrise de ces outils.
Les membres d’une même équipe projet sont parfois répartis aux quatre coins de la planète. C’est un fait : les entreprises sont de plus en plus nombreuses à délocaliser leurs activités de production mais aussi de conception. Ainsi, de plus en plus, chacun se retrouve un peu solitaire… tout en étant en relation avec tout le monde ! Il faut pouvoir communiquer et bien se comprendre. Or, dans la majorité des organisations actuelles, le travail collaboratif n’est pas une pratique triviale, en particulier parce que les principes de management restent fondamentalement tayloriens même si tout le monde s’en défend. Dans ce contexte, introduire de nouveaux outils de travail collaboratif pour pouvoir travailler en réseau, donc de manière plus transversale, représente une formidable opportunité d’apprentissage collectif du changement.

VA : Nous vivons dans un monde très individualiste. N’y a-t-il pas antinomie entre l’individualisme ambiant et l’idée de travail collaboratif ?
SKL : L’homme s’est organisé en société pour améliorer sa sécurité dans un environnement hostile. Maintenant, paradoxalement, cette société lui pèse et il cherche à prendre du recul et à s’isoler. Les sociologues ont constaté avant moi que l’homme, lorsqu’il n’est plus obligé de lutter pour sa survie, se replie naturellement sur lui-même. Toutefois, cette solitude n’est qu’apparente. Cela étant posé, l’homme (re)devenu individualiste n’est jamais tout à fait seul. En effet, jamais, il n’a disposé d’autant de moyens de communication. Et rares sont les véritables ermites… Voilà pourquoi je dis que  » nous vivons et travaillons ensemble séparément « . Cette expression me semble assez bien traduire ce qui se passe actuellement dans les entreprises.
Le terme d’entreprise  » étendue « , représentant des  » grappes d’entreprises  » qui collaborent les unes avec les autres, est passé dans le langage courant. Finalement, la planète ressemble à un immense réseau d’acteurs. L’acteur pouvant être un individu ou une très grosse entreprise. Et tout le monde interagit dans une jungle monstrueuse où sévit une compétition infernale. Pour survivre, des alliances se créent malgré tout (entre individus ou entre entreprises) et des pratiques collaboratives se développent.
J’aimerais préciser que la promotion du travail collaboratif, dans le monde professionnel, ne se développe pas par humanisme… mais clairement pour optimiser la productivité des organisations, c’est-à-dire la rentabilité économique. Comme je l’écris dans mon livre, il ne s’agit pas d’une utopie vaguement humaniste qui ignore les réalités du monde du travail, mais d’une forme de travail qui s’impose irrémédiablement à nous. L’espoir fondé sur de nouvelles technologies qui générerait des économies de travail relève de la pure illusion.

VA : Comment convaincre le personnel d’une entreprise d’accepter le travail collaboratif ?
SKL : Ma réponse est simple. Le travail collaboratif n’est pas obligatoire. Il est juste essentiel, incontournable… et urgent ! Je n’hésite pas à affirmer qu’il va devenir le problème numéro un du management opérationnel des vingt prochaines années.
Pour une simple question de survie, les entreprises ne peuvent pas laisser leurs salariés aller à leur rythme. Comme je l’ai dit précédemment, le travail collaboratif ne va pas de soi. Les dirigeants doivent parfois  » forcer  » leurs collaborateurs, comme ils se forcent eux-mêmes, mais pas n’importe comment. Intelligemment. Pour emporter l’adhésion, il faut expliquer, faire connaître, aider les gens à comprendre et à intégrer nouveaux outils et bonnes pratiques. Car il existe aussi de vrais gisements d’amélioration et de confort dans le travail collaboratif. La principale difficulté est de réussir à faire passer les gens dans une nouvelle dimension en quelque sorte. C’est à cette fin que j’ai créé la « Méthode MAIN® » pour aider les organisations à réussir les changements humains, organisationnels et technologiques induits par l’introduction, puis par le développement inéluctable des systèmes de travail collaboratif et ce à travers tous les processus métiers candidats au changement.

*Serge K. Levan est consultant en management et systèmes de travail collaboratif au sein du cabinet MAIN Consultants® qu’il a fondé en 1992. Il est l’auteur de nombreux articles et de plusieurs ouvrages sur le management et les systèmes de travail collaboratif dont  » Le groupware  » (Hermes. 1994) et  » Le projet workflow  » (Eyrolles. 1999).
Pour en savoir plus :
http://www.mainconsultants.com
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