Médecin, biologiste, virologue, le professeur Luc Montagnier* partage aujourd’hui son temps entre l’Amérique du nord et la France. Luc Montagnier est surtout connu du public pour avoir découvert en 1983 le virus du VIH provoquant la maladie du SIDA, puis pour avoir créé, en janvier 1993 avec le directeur général de l’UNESCO de l’époque Federico Mayor, la Fondation Mondiale Recherche et Prévention Sida dont il est président. Ses travaux sur le stress oxydant sont moins connus. Pourtant, il s’agit d’une voie de recherche complémentaire et prometteuse susceptible d’améliorer les défenses immunitaires. Véronique Anger : Vous dénoncez régulièrement le relâchement de l’opinion face au développement du sida dans le monde. Comment expliquez-vous cette démobilisation alors que l’épidémie continue à se propager, en particulier dans les pays en voie de développement ? VA : Vous rappelez, en revanche, la forte mobilisation des chercheurs. Quels sont aujourd’hui les espoirs d’enrayer l’épidémie de sida dans le monde ? Quels sont les traitements les plus prometteurs, et où en sont les projets de vaccins ? VA : Voilà qui nous amène à la question suivante… Vous êtes le président du conseil scientifique de Probiox, un laboratoire belge spécialisé dans la biologie relative au stress oxydant. Pouvez-vous expliquer ce qu’est le stress oxydant ? VA : La société Probiox a effectué des tests sur l’équipe de France de football par exemple, quels sont les principaux effets du stress oxydant sur l’organisme ? Quelles sont ses conséquences sur le vieillissement ? VA : Certaines plantes ou produits (telles que la papaye) anti-oxydante, permettraient de lutter contre les maladies neuro dégénératives. Comment intégrez-vous la médecine traditionnelle (africaine ou autre) à vos recherches sur le sida VA : Vous partagez votre temps entre l’Amérique du nord et vos recherches en France. Vous sentez-vous concerné par le mouvement de colère qui secoue actuellement le monde des chercheurs ? La France vous semble-t-elle prendre un retard irréversible sur la scène internationale ? Selon vous, pourquoi la recherche fondamentale n’est-elle pas une priorité dans notre pays ? Pour en savoir plus : Voir aussi :
Version Anglaise
Professeur Luc Montagnier :D’une part, le sida n’a pas connu de très forte extension chez nous. Effectivement, si chaque année quelques milliers de personnes sont infectées, le nombre des personnes victimes d’accidents de la route est bien supérieur. De ce fait, c’est un chiffre qu’on tend un peu à oublier. D’autre part, une partie de la population croit qu’il existe des traitements qui guérissent le sida. Or, cela est faux. Par ailleurs, les gens semblent s’être « habitués » à cette maladie au fil des ans et le sida tend à passer au second plan. Il est humain de craindre davantage ce qui est moins connu, notamment les nouvelles épidémies de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère, ou pneumonie atypique) ou de grippe aviaire. Pourtant, le sida continue de se propager dans les pays en voie de développement, en particulier en Afrique, en Asie, en Inde et en Chine, mais également beaucoup plus près de chez nous, en Europe de l’Est.
Pr LM : La mobilisation des chercheurs tend à se stabiliser. Le nombre des équipes aurait même plutôt tendance à régresser, notamment en France. L’agence nationale de recherches sur le sida(ANRS) dispose de moins d’argent qu’auparavant. On peut s’interroger sur l’avenir qui lui est réservé. Dans les autres pays européens, le sida ne dispose pas d’un budget spécifique ; il fait partie des maladies infectieuses au même titre que les autres pathologies. Jusqu’à présent, la France faisait encore figure d’exception, mais cela risque de changer. La refonte de l’ANRS dans l’INSERM est prévisible.
On a l’espoir de rendre accessibles, aux patients qui en ont besoin, tous les traitements actuels. Prenons l’exemple du continent africain. On estime que 30 millions d’individus sont infectés par le virus. Parmi ceux-ci, dix pour cent ont atteint un stade assez avancé et devraient être traités par les trithérapies. Pour réussir à les soigner correctement, il faudrait davantage de structures et de formation médicale sur place. Baisser les prix des médicaments c’est bien, mais cela ne suffit pas. Il faut installer des centres axés sur la recherche, la prévention et les traitements. C’est ce que notre Fondation(1) essaie de mettre en place en partenariat avec les autorités locales. Mais cette démarche ne peut aboutir sans une réelle implication des dirigeants des pays où le sida est très présent, ce qui n’est pas toujours le cas.
Dans le même temps, il faut démythifier cette maladie. Ceci est valable également pour l’Asie où le sida reste tabou et fait toujours très peur. Les personnes atteintes du virus le cachent quand elles ne préfèrent pas ignorer qu’elles sont malades. C’est un problème très grave car la population déclarée infectée est très faible (moins de un pour cent des individus contaminés). Les malades viennent se faire traiter seulement lorsqu’ils sont dans un état critique. Pour changer cet état de fait, il faut donner l’espoir d’un traitement à tous les séropositifs. Or, ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui. Voilà pourquoi la prévention et l’éducation sont indispensables. Trop d’idées fausses circulent encore, surtout en Afrique où certains hommes croient qu’ils échapperont au sida -voire qu’ils seront guéris- s’ils ont des rapports sexuels avec une femme vierge. D’autres pensent qu’il s’agit de sorts lancés par des marabouts. Il y a donc nécessité absolue d’éduquer les populations à la prévention et, en particulier, les convaincre d’utiliser des préservatifs.
La recherche joue elle aussi un rôle essentiel. Grâce à elle, on peut espérer mettre au point des traitements moins chers et moins forts que la trithérapie. Bien sûr, il existe des projets de vaccin, mais j’ai une opinion très arrêtée sur cette question. Je pense que les vaccins actuels ne pourront pas être efficaces. Les essais réalisés en Thaïlande par Vaxgen et Aventis-Pasteur sont négatifs. Ce résultat était prévisible car ces préparations utilisent des protéines de surface natives du virus. Elles exposent les régions les plus mutantes du virus au système immunitaire. Or, il faudrait travailler à partir de régions du virus qui ne changent pas. Ainsi que certains tests tendent à le prouver, la solution consisterait à modifier la conformation de cette molécule de surface. Malheureusement, pour l’instant, les firmes pharmaceutiques ne prennent pas cette idée au sérieux. Tels des trains à grande vitesse, elles sont lancées à vive allure et ne peuvent plus freiner. Et elles foncent droit dans le mur… Une vingtaine de scientifiques américains ont co-signé une lettre dans « Science » dénonçant l’argent gaspillé sur cette fausse piste. La trithérapie est un traitement efficace, mais elle ne suffit pas car elle n’éradique pas l’infection. L’espoir serait de stimuler le système immunitaire de la personne malade de manière à ce qu’elle puisse résister et contrôler son infection virale. On peut y parvenir avec des vaccins thérapeutiques ajoutés à des immuno-stimulants et des anti-oxydants.
Pr LM : Il s’agit d’un déséquilibre entre les molécules oxydantes auxquelles l’organisme est exposé, c’est-à-dire des molécules dérivées de l’oxygène qui oxydent tout ce qu’elles rencontrent (protéines, ADN, lipides, sucres…) et les anti-oxydants que l’on ingère ou que l’on fabrique. Les plus connus sont les vitamines C et E, mais il en existe d’autres, tels que le glutathion par exemple, qui sont aussi importants. Ce déséquilibre va entraîner une oxydation de nos constituants, générer des mutations de l’ADN, altérer les lipides des membranes de nos cellules et diminuer la durée de vie de nos protéines. A petite dose, le stress oxydant peut stimuler l’expression de certains gènes impliqués dans la division cellulaire. En revanche, son excès est nocif pour l’organisme. Pour la plupart d’entre nous, le stress oxydant se manifeste normalement vers 45/50 ans. Il est plus important chez les individus souffrant de pathologies telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires, neuro dégénératives, ou d’infections. Il peut également être provoqué par des déséquilibres nutritionnels, la pollution atmosphérique, ou la pratique trop intensive d’un sport.
Pr LM : Ce stress oxydant induit un vieillissement prématuré. Il favorise l’induction de cancers. Ces maladies peuvent également intervenir chez des gens jeunes, notamment chez les sportifs professionnels qui » abusent » de l’effort physique. Traiter le stress oxydant ne va pas augmenter leurs performances, mais cela va permettre d’améliorer leurs capacités de récupération après l’effort.
Le traitement du stress anti-oxydant pose des problèmes de surdosage. A forte dose, la même vitamine peut devenir pro-oxydante. D’où la nécessité de procéder à des tests de diagnostic. C’est ce que pratique par exemple la société Probiox. A partir d’une simple prise de sang, il est possible d’évaluer les déficits ou les surdosages et ainsi d’adapter le traitement au patient. Les effets sont davantage préventifs plus que curatifs. On traite les symptômes, non les causes. Certes, on peut améliorer l’état des personnes atteintes, mais on ne peut pas les guérir. Surtout, on peut diminuer les facteurs de risque. On pourrait prévenir l’apparition des maladies par un suivi régulier tous les six mois et par une correction du stress oxydant à l’aide d’anti-oxydants appropriés.
Je préconise la création de tels centres afin de faire plus de prévention et ainsi diminuer les énormes dépenses liées aux traitements des maladies chroniques, ces » longues maladies « . La durée de vie augmentant, de plus en plus de personnes âgées vivent dans des maisons de retraite, victimes de ces maladies handicapantes que sont le Parkinson, l’Alzheimer ou les cancers. La prévention a un prix, mais elle coûtera toujours moins cher que les hospitalisations. Se faire traiter à titre préventif plutôt qu’en état de crise est un concept nouveau pour tout le monde.
Pr LM : Les plantes, qui ont été confrontées à ce problème depuis fort longtemps (elles génèrent de l’oxygène par la photosynthèse), contiennent des mélanges de composés capables d’éliminer le stress oxydant. Ainsi, l’extrait de papaye fermentée possède des propriétés anti-oxydantes et immuno-stimulantes et peut avoir des effets susceptibles de conduire à des améliorations s’ajoutant à des traitements déjà validés.
Les tests réalisés par Probiox démontrent que les maladies dégénératives (Parkinson, Alzheimer…) font apparaître un grand stress oxydant. Sachant qu’il existe très peu de traitements pour ces maladies, il est logique d’essayer ce type de produit, ne serait-ce qu’en complément de médicaments utilisés habituellement dans ces maladies. Encore une fois, on traite les symptômes, pas les causes. Mais ce qui m’intéresse en tant que chercheur, ce sont également les causes. Et je pense qu’elles sont en partie infectieuses. Des agents infectieux (bactéries, virus…) associés à ces maladies de façon latente vont contribuer à déclencher un stress oxydant pouvant indirectement causer ces maladies.
La médecine traditionnelle, essentiellement à base de plantes, ne doit pas être négligée. Mon idée est de l’intégrer en utilisant les mêmes critères d’évaluation que pour les médicaments classiques. Il faut que ces préparations soient reproductibles et que des essais cliniques démontrent leur efficacité. Cette médecine, qui agit en stimulant les défenses immunitaires (et non directement sur la cause : l’agent infectieux ou la tumeur) peut avoir sa place en complément de notre médecine plus classique. Elle peut augmenter les effets des médicaments classiques ou diminuer leurs effets secondaires mais je ne pense pas qu’elle puisse, seule, guérir les grandes maladies.
Pr LM : Il s’agit d’un problème récurrent dans notre pays. Je pense que les chercheurs ont raison d’attirer l’attention du public. D’autant qu’il existe un autre problème sous-jacent. La recherche n’est pas toujours considérée comme positive par le public. Certains aspects effraient : le clonage, les OGM. On se demande où vont les chercheurs… L’attrait du public pour la science n’a jamais été très fort en France où la culture littéraire prédomine, contrairement aux Etats-Unis. C’est un point important car les politiques suivent souvent l’opinion publique. Et si l’intérêt du public pour la recherche diminue, la recherche s’éteindra faute de son soutien.
Je pense que les chercheurs doivent respecter certaines règles éthiques et ne pas faire de recherches qui pourraient avoir des conséquences nuisibles. Quoi qu’il en soit, la recherche est indispensable. Ne serait-ce que dans le domaine de la biologie ou de la physique, pour trouver des solutions aux nombreux problèmes liés à notre civilisation (pollution, épidémies, maladies liées au vieillissement de la population,…).
Accorder davantage de budget, oui. Mais pas n’importe comment. Je pense que des changements de structures doivent être apportés en contre partie. J’ai toujours affirmé que la fonctionnarisation des chercheurs était une erreur en France. Je suis d’accord avec l’idée des contrats de recherche à durée déterminée de cinq ans à condition qu’ils soient renouvelables et payés davantage que les postes de fonctionnaires. Former un chercheur prend dix ans. Les contrats de cinq ans doivent donc être renouvelables. C’est une voie que choisissent de plus en plus de pays aujourd’hui.
En France, nous avons un retard objectif reflété notamment par la diminution du dépôt de brevets. De moins en moins d’étudiants optent pour la recherche. De plus, des pans importants de la recherche sont négligés. Cela va s’accentuer encore dans les années à venir car les générations ne sont pas renouvelées dans un certain nombre de disciplines. Il faut créer de nouvelles structures, des instituts d’études avancées comme il en existe aux USA. En France, le financement de la recherche par des fondations privées est très faible, à l’exception de celle portant sur les maladies génétiques. Il manque aussi des sociétés de biotechnologies. On n’a pas -ou très peu- ce relais qu’on trouve outre Atlantique entre les laboratoires pharmaceutiques et les universités. Cela demande de la part des chercheurs de faire preuve de créativité pour convaincre le public de l’intérêt de ce qu’ils font.
Je pense que le problème principal, aux Etats-Unis comme en Europe, c’est l’énorme conformisme au niveau scientifique, et notamment en biologie. On vit sur des concepts vieux de cinquante ans. On les exploite et c’est très bien… mais il reste de nombreuses énigmes qu’on n’arrive toujours pas à résoudre. Par exemple, on s’est beaucoup appliqué à comprendre les mécanismes, le « comment » des cancers (quels sont les gènes impliqués ?) et on a trouvé des explications, mais tout ceci n’explique pas pourquoi tous ces gènes agissent à un moment donné. Nous ne savons toujours pas ce qui pousse les cellules à devenir cancéreuses. On revient au problème du stress oxydant. C’est un des facteurs, associé au facteur infectieux. On devrait s’attacher aux sources, à l’étiologie, des cancers. Pas seulement aux mécanismes.
*Le Professeur Luc Montagnier est également l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels : » Virus » (Edition anglaise. Norton. 2000) ; » Des virus et des hommes » (Odile Jacob. 1994) ; » Sida et société française » (Documentation française. 1994) ; » Le sida » (avec R. Daudel – Flammarion. 1994). Pr Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi viennent de se voir décerner le prix Nobel de médecine 2008. Le Nobel 2008 récompense leurs travaux sur le sida ainsi que ceux de l
(1) En 1996, la Fondation Mondiale Recherche et Prévention SIDA a créé un centre -le CIRBA- à Abidjan (Côte d’Ivoire). Un autre centre a été ouvert en 2006 à Yaoundé (Cameroun).
Le stress oxydant
et sur le site de Santé.net : Stress oxydatif : mythes et réalités
Sur le SRAS et la grippe aviaire : voir le site de l’OMS
« L’homme et les gènes » à la Cité des Sciences : http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/defis/homgen/index.htm
http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/defis/encyclobio/index.htm
Et l’Université de tous les savoirs : http://www.canal-u.education.fr
Un nouveau site sur la sciences : Europe puissance scientifique et technologique : pour une Europe indépendante par le développement des sciences et technologies de souveraineté
Voir aussi le site de Futura Sciences
Traiter à titre préventif plutôt qu’en état de crise: un concept nouveau en médecine prospective
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- Les Di@logues Strategiques on 2 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques
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(Les Di@logues Stratégiques® N°45 – 02/04)