Technologies « bio-inspirées » : Quand la nature est une inépuisable source d’inspiration
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- Les Di@logues Strategiques on 4 octobre 2011 inLes Di@logues Strategiques Non classé

Marc Fontecave est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de « chimie des processus biologiques », membre de l’Académie des Sciences et chercheur au laboratoire de chimie et biologie des métaux à Grenoble. Il dirigera le premier colloque de la Fondation Ecologie d’Avenir sur les « technologies bio-inspirées » le 14 octobre prochain au CNAM.


Véronique Anger : Ce colloque sera consacré aux « technologies bio-inspirées », voulez-vous expliquer de quoi il s’agit en langage simple ?
Marc Fontecave : Le bio-mimétisme consiste à essayer de reproduire rigoureusement une solution observée dans le système vivant. Quand les hommes se sont inspirés des oiseaux pour créer les premières machines volantes, ils se sont contentés de copier les battements d’aile, mais cette solution « mimétique » n’a pas permis de voler… Le mimétisme, c’est-à-dire copier sans comprendre un mécanisme observé ne permet pas forcément de trouver des solutions. Les ingénieurs ont donc essayé de décrypter les mécanismes permettant aux oiseaux de voler et ils ont inventé de nouvelles techniques, librement inspirées de leurs observations, pour y parvenir.
Les chercheurs essaient de comprendre les solutions développées par des organismes vivants au niveau le plus fondamental, de décortiquer les systèmes capables de produire un phénomène et de le copier. Au-delà de la solution concrète, le plus important est d’assimiler les principes fondamentaux à partir desquels des organismes vivants ont bâti leurs solutions. Une fois ces systèmes ou ces modes de fonctionnement parfaitement maîtrisés, le chercheur pourra s’en inspirer tout en utilisant des outils qui n’existent pas dans le vivant, mais qui satisfont aux règles et principes qui prévalent dans la construction du système biologique. On parle alors de « bio-inspiration ». En d’autres termes, le chercheur s’inspire librement du vivant tout en imaginant un champ d’application beaucoup plus vaste. Par exemple, mon équipe a essayé de comprendre comment fonctionnait un système enzymatique impliqué dans la production d’hydrogène et s’en est inspirée pour créer un catalyseur simplifié ne comprenant que du nickel (alors que le modèle comprenait du nickel et du fer). Les résultats de nos travaux ont été publiés dans Science[1] à la fin de 2009.
La bio-inspiration n’est pas une science particulièrement jeune : comme on l’a vu, l’avion est l’un des premiers objets bio-inspirés. Le velcro (association du velours et de petits crochets) est lui aussi une invention inspirée de la nature, de cette fleur de Bardane qui s’accroche à nos vêtements ou aux poils des animaux.

VA : Quels sont les pays les plus à la pointe de la recherche sur les technologies bio-inspirées ? Les chercheurs français ont-ils fait des découvertes majeures dans ce domaine ?
MF : Les Américains sont, comme souvent, à la pointe de la recherche dans ce domaine, mais la France a aussi réalisé quelques belles performances, notamment grâce aux travaux importants d’Yves Bréchet, professeur à l’Institut polytechnique de Grenoble (INP) et chercheur au laboratoire Science et ingénierie des matériaux et des procédés de Grenoble (SIMAP) ou aux chimistes Clément Sanchez et Jacques Livage, professeurs au Collège de France. Les professeurs Bréchet et Sanchez interviendront d’ailleurs à l’occasion du colloque du 14 octobre au CNAM.

VA : L’interdisciplinarité permet de progresser plus vite en sciences : est-il possible aujourd’hui de faire une recherche efficace sans s’associer avec des équipes travaillant dans des disciplines différentes et complémentaires ?
MF : Vous avez raison, aujourd’hui les grandes découvertes font intervenir diverses disciplines. C’est encore plus vrai en ce qui concerne les technologies bio-inspirées. Dans ce domaine, aux frontières de la biologie et de la chimie ou de la physique, il faut à la fois comprendre comment fonctionnent des systèmes vivants très complexes, les traduire en nouveaux matériaux, en nouvelles chimies, etc. Les chercheurs évoluent constamment entre recherche fondamentale et recherche technologique.
Traditionnellement, la France n’est pas très ouverte à la transdisciplinarité, ni au multiculturalisme. Les formations universitaires, l’organisation du monde de la recherche, ne sont pas adaptées à cette réalité. L’enseignement, les laboratoires tout comme les budgets octroyés aux organismes de recherche demeurent compartimentés par discipline. Acquérir plusieurs cultures scientifiques n’est pas si simple. De plus, les personnes qui possèdent un savoir transdisciplinaire ne sont pas forcément plus recherchées par les industriels que leurs collègues hyper spécialisés. Personnellement, je considère qu’il serait bon de réunir des chercheurs issus de cultures et de disciplines différentes sur un même site géographique. Le courriel ne suffit pas, il faut aussi créer des instituts qui permettent aux équipes de se parler en face-à-face pour mieux collaborer. 

VA : Ce colloque scientifique a pour but de sensibiliser le grand public à une discipline peu connue, pourquoi est-ce si important d’attirer l’attention d’un public de non spécialistes ?
MF : L’objectif de la Fondation qui organise ce colloque n’est pas de toucher uniquement le grand public. Elle entend aussi mobiliser des décideurs politiques et économiques, des chefs d’entreprise, des cadres dirigeants… Les décideurs, tout comme le citoyen lambda, ont besoin d’un minimum de culture scientifique pour pouvoir prendre des décisions tout comme le citoyen devra pouvoir voter en connaissance de cause, par exemple. L’un des objectifs de la Fondation est de vulgariser l’information scientifique en apportant un éclairage nouveau et des avis d’experts sur les grandes questions liées à la santé ou à l’environnement notamment (nucléaire, pollution, médicaments…), c’est-à-dire dans tous les domaines où les enjeux sont de plus en plus importants.

VA : Vous faites partie du conseil d’orientation de la Fondation Ecologie d’Avenir. Pour quelles raisons vous êtes-vous engagé aux côtés de Claude Allègre, grand scientifique mais aussi personnage controversé par certains de ses collègues pour ses prises de positions climato-sceptiques ?
MF : Communiquer auprès des différents publics est l’une des missions de la Fondation créée à l’initiative de Claude Allègre. Je tiens à participer à cette communication scientifique. Je pense que Claude Allègre a un rôle important à jouer dans le panorama des intellectuels et des scientifiques, car il est bon de ne pas entendre tout le temps les mêmes opinions ! Il n’existe pas une seule façon de sensibiliser les gens aux questions liées à l’écologie. En diffusant de l’information pour tous les publics, la Fondation contribuera aussi à donner une image plus positive de l’écologie en inaugurant ce cycle de réflexion sur le rôle des sciences au service de l’écologie.
[1] From Hydrogenase Mimics to Noble-Metal Free Hydrogen-Evolving Electrocatalytic Nanomaterials. A. Le Goff, V. Artero, B. Jousselme, N. Guillet, R. Métayé, A. Fihri, S. Palacin, M. Fontecave. Science 2009, 326, 1384-1387. L’article en ligne : http://www.sciencemag.org/content/326/5958/1384  
Pour aller plus loin : 
- Marc Fontecave est par ailleurs président du conseil scientifique de la ville de Paris, et l’auteur de Chimie des processus biologiques : une introduction(Collège de France, 2009). Ses travaux ont pour objet la compréhension de la structure et la réactivité des centres métalliques présents dans les protéines appelées « métalloprotéines ». Ses recherches ont des applications dans le domaine de la chimie (catalyseurs sélectifs), de la santé (anticancéreux, antioxydants), de l’environnement (bioremédiation) et de l’énergie (production/activation de l’hydrogène). Consulter sa biographie sur le site de l’Académie des Sciences.
- Le colloque « Les technologies bio-inspirées » est ouvert au grand public et se tiendra de 9H à 17H le 14 octobre 2011 au CNAM (amphithéâtre C. 292, rue Saint Martin, 75003 Paris). Autour de Claude Allègre, de Christian Amatore et de Marc Fontecave, membres de l’Académie des sciences, les experts les plus en vue du domaine présenteront des défis scientifiques fascinants : Daniel Nocera (MIT), Vincent Artero (CEA), Yann LeCun (université de New York), Yves Bréchet (Grenoble-INP), Peter Fratzl (Max-Planck Institut) et Clément Sanchez (Collège de France).
Quelques uns des thèmes abordés  : Comment le phénomène de la photosynthèse naturelle peut inspirer les chimistes pour la mise au point de dispositifs originaux de synthèse de « carburants solaires » ? Comment la connaissance du fonctionnement du cerveau « neurosciences » peut conduire à l’invention de robots de plus en plus intelligents ? Comment la conception de nouveaux matériaux peut naître de l’analyse des propriétés uniques du vivant (os, peau, nacre, etc.)
- Lire aussi : « Christian Amatore : La science, corne d’abondance ou boîte de Pandore? » sur le site de la Fondation Ecologie d’Avenir et « Sciences : une feuille artificielle transforme la lumière solaire en électricité » (Le Parisien du 30/09/2011).

Ce qu’il faut savoir à propos de la Fondation Ecologie d’Avenir :

La Fondation Ecologie d’Avenir, créée à l’initiative du scientifiqueClaude Allègre à l’Institut de France est soutenue par les plus grands scientifiques français. Après Albert Fert, prix Nobel de Physique et Jean-Marie Lehn, prix Nobel de Chimie, la Fondation peut se féliciter de compter un 3ème Nobel au sein de son conseil d’orientation. Le naturaliste et biologiste Jules Hoffmann vient en effet d’obtenir le prix Nobel de Médecine 2011 pour ses travaux qui « ont permis de réelles avancées en matière de développement de la prévention et de thérapies contre les infections, les cancers et les maladies inflammatoires. » (en collaboration avec l’Américain Bruce Beutler et le Canadien Ralph Steinmann décédé il y a quelques jours). En septembre dernier, Jules Hoffmann s’était vu décerner la médaille d’or du CNRS, l’une des plus hautes distinctions scientifiques françaises.
Voir son message vidéo de soutien à la Fondation.
Lire aussi : « Jules Hoffmann, prix Nobel de Médecine  » sur le site de l’INSERM, 3/10/2011).
La Fondation Ecologie d’Avenir est présidée par M. Gabriel de Broglie, Chancelier de l’Institut. L’ancienne présidente du CNRS Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, est membre du conseil d’administration et du conseil d’orientation de la Fondation. Des personnalités influentes issues d’horizons différents ont apporté leur soutien à la Fondation créée à l’initiative de Claude Allègre, notamment : le scénariste et écrivain Jean-Claude Carrière, le philosophe et ancien ministre de l’Education nationale Luc Ferry, le président du magazine Slate et et ancien président du journal Le MondeJean-Marie Colombani, le journaliste et ancien directeur du magazine L’Express Denis Jeambar, le directeur de l’institut Diderot Dominique Lecourt, le directeur de l’IFRI Thierry de Montbrial, le président du Cercle des économistes Jean-Hervé Lorenzi, le président de l’OFCE Jean-Paul Fitoussi, le président de chambre honoraire à la Cour des comptes Bernard Cieutat, le directeur d’études à l’EHESS Hervé Le Bras ou le président du conseil d’administration de Valeo Pascal Colombani.
En plus de ses 3 Nobel, le conseil d’orientation compte de nombreux académiciens des Sciences dont le chimiste Christian Amatore, le géophysicien Vincent CourtillotGérard Ferey (médaille d’or du CNRS), le professeur au Collège de France Marc Fontecave, Françoise Brochard-Wyart, Bernard Roques ou Jean-Marie Tarascon.
Loin du débat sur le réchauffement climatique (la Fondation s’est engagée dans ses statuts à ne pas s’en mêler), Ecologie d’Avenir se veut un « forum créatif » et force de propositions. Elle compte « promouvoir les échanges entre scientifiques, économistes, philosophes, acteurs du monde de l’entreprise et de l’innovation technologique afin d’imaginer des initiatives et des actions concrètes permettant d’encourager une « écologie positive » en éclairant d’un regard neuf les grandes questions liées à l’environnement « tout en ouvrant des perspectives d’avenir porteuses d’espoir pour l’avenir de l’humanité. ».
Plus d’infos :

Ce qu’il faut savoir à propos de l’Institut de France :

Véritable « parlement des savants », créé en 1795 par la Convention, l’Institut de France est aujourd’hui placé sous la responsabilité du Chancelier M. Gabriel de Broglie. Il regroupe 5 Académies : l’Académie françaisel’Académie des inscriptions et belles-lettresl’Académie des Sciencesl’Académie des beaux-arts etl’Académie des sciences morales et politiques. L’Institut de France est la plus ancienne et la plus prestigieuse institution à pratiquer la mécénat et à gérer des dons et legs. Créées par des particuliers ou des entreprises, les fondations abritées à l’Institut bénéficient de l’expérience de cette institution séculaire dans les domaines du mécénat et de la philanthropie ainsi que de l’expertise des académiciens.