NTIC : de nouveaux modes de relations au sein, et entre les entreprises
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- Les Di@logues Strategiques on 2 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques Non classé


(Les Di@logues Stratégiques® N°27 – 04/02)

« L’utilisation des nouvelles technologies de l’information favorise une transformation importante de la vision que nous avons du monde en général. Par ailleurs, elle génère de nouveaux modes de relations au sein de l’entreprise, et entre l’entreprise et son environnement. » constate Patrick Benoît*, Consultant pour Cap Gemini Ernst & Young, habitué des questions liées à l’internet, notamment via son appui à des projets de type « e ».

Véronique Anger : Quels sont les impacts humains, culturels et organisationnels de la « e-transformation » des entreprises ?
Patrick Benoît : Les impacts du Net permettent de mieux apprécier quelques effets généraux induits par le recours à ces technologies qui, aujourd’hui, concernent inévitablement les entreprises :
La transformation de notre vision du monde : Les TIC favorisent à l’évidence le décloisonnement géographique, accentuent l’impression de « village planétaire ». Quel adolescent s’étonne encore aujourd’hui de jouer en temps réel avec un Américain, un Australien, un Nordique ? Nos frontières classiques (nations, distances, mais également modes de classements mentaux -catégories- des informations) sont touchées par ces facilités de communication.
Cet effet de décloisonnement touche naturellement l’entreprise : mails, intranets,… affranchissent « virtuellement » le salarié d’un certain nombre de lourdeurs et de cloisonnements organisationnels.
Ces techniques donnent un accès plus facile tant aux sources d’information internes (sites de communication internes, sites métiers/entités, portails d’entreprise,…) qu’extérieurs à l’entreprise (rapport des analystes de sites boursiers pour une société cotée par exemple) et permettent à tout salarié de comparer deux visions de son entreprise.
Accessibles en quelques « clics », ces informations peuvent modifier le regard du salarié sur son entreprise et les messages qu’elle véhicule, renforcer sa capacité critique, sa distance,… En accroissant l’exigence de crédibilité dans les processus d’information internes aux entreprises, ce décloisonnement de l’information va peut-être dans le sens d’une citoyenneté accrue dans le monde de l’entreprise.
La mobilisation quasi instantanée de communautés d’individus : De multiples exemples récents ont montré avec quelle rapidité une communauté force « virtuelle », éphémère ou durable, pouvait se constituer en tirant parti du Net (collectifs anti-mondialisation notamment). Il est évident pour tous désormais que le Net constitue un levier remarquable de mobilisation massive et tous azimuts de communautés. Il s’agit là d’un changement radical dans les modalités de création des mouvements collectifs.
Progressivement, les entreprises vont découvrir ces effets au quotidien : le management, les salariés, les organisations syndicales disposent pareillement de cette possibilité de sensibilisation et de mobilisation. L’apprentissage de l’utilisation de ce type de levier au service de communautés d’intérêts au sein de l’entreprise est en cours et va toucher les rapports managériaux et sociaux de l’entreprise.
L’impact de cette évolution doit néanmoins être relativisée. Comme toujours avec ces technologies, « communauté virtuelle » ne signifie pas capacité d’action réelle. Vient toujours le moment où il faut transformer une communauté « Net » en une action collective. C’est le retour au monde réel, avec ses difficultés que nous connaissons tous…
Phénomène « d’exposition » immédiat : Quel que soit son contenu, tout site internet est instantanément en face d’un public potentiel considérable. Dans ce nouveau schéma, le lieu -principale référence du mode de commercialisation classique- disparaît. Là encore, le passage au réel est, on l’a vu depuis deux ans, une épreuve de vérité. Etre exposé ne veut pas dire être trouvé ; « visite » n’implique pas achat.
Au sein des entreprises, nombre d’entités ont utilisé cette faculté pour exposer leur site et le projet qui y est associé, améliorant la lecture. Cela étant dit, en parcourant divers intranets, on est souvent frappé par le caractère « kaléidoscopique » de cette représentation de l’entreprise ainsi que par les niveaux hétérogènes de qualité et de richesse des sites d’entités.
De même que dans la Net économie, les premières phases d’euphorie ont laissé -dans les intranets d’entreprises- beaucoup de sites morts-nés faute de services réels, d’éléments à valeur ajoutée effective. Aussi, dans la plupart des entreprises, un « ménage de printemps » des intranets est-il en cours…
Vie dans, et hors, de l’entreprise : De nouvelles pratiques et habitudes s’installent chez les internautes français en matière d’accès à l’information et aux services. Les nouvelles pratiques des salariés vont progressivement se reporter sur leurs attentes dans l’entreprise, avec des équivalents externes. Par exemple, je vais naturellement comparer les facilités offertes par ma banque (consultation on line de mon compte, opérations, …) avec celles de mon entreprise sur des processus de même nature (feuille de paie, congés,…). Les fonctions « supports » (notamment la fonction RH) vont subir une pression croissante pour répondre à ce type d’attentes.
Dans le même ordre d’idées, à une époque où la recherche conjointe de gestion souple du temps et d’équilibre entre vies professionnelle et privée est un thème important, le Net permet au salarié de résoudre plus facilement des contradictions courantes entre ces deux mondes (notamment dues au fait que l’accès aux services de la vie courante se fait durant les heures travaillées). Pour une part, il va être plus simple de répondre à des besoins basiques (billets de train, courses en hyper,…) en dehors des heures travaillées.
Toutefois, l’accès permanent à des ressources externes va impliquer, pour les entreprises, de définir beaucoup plus précisément les politiques en matière d’articulation de ces deux univers (travail à distance, accès à des commodités à usage privé dans le cadre professionnel,…).
Extension des capacités personnelles, mais risque d’accroissement des inégalités individuelles : Les bénéfices induits par ces facilités technologiques servent aussi bien les mouvements collectifs que les stratégies personnelles. Le potentiel d’information, d’influence, d’action, par individu s’accroît grâce à ces technologies. Le « e-training » (ou formation à distance) avec la responsabilisation facilitée de chaque individu sur la mise en oeuvre de son projet en est une illustration.
Dans le même temps, leur capacité à maîtriser ces ressources de façon autonome (capacité à trouver, trier, qualifier, utiliser, pertinemment l’information) varie d’une personne à une autre. Aussi, les entreprises doivent-elles chercher à intégrer pleinement cet objectif d’appui aux salariés pour une utilisation efficace d’internet.

VA : L’usage des nouvelles technologies remet-il en cause les besoins fondamentaux des entreprises ?
PB : Ces phénomènes restent limités dans la plupart des grandes entreprises, compte tenu de l’accès encore restreint à internet et des difficultés rencontrées par beaucoup de salariés pour se familiariser avec ce type d’outil. L’arrivée de programmes de type « internet pour tous » (France Télécom, EDF,…) représente un facteur d’accélération de ces transformations.
Dans l’entreprise, l’usage des nouvelles technologies ne remet pas en cause les besoins fondamentaux qui existaient avant l’émergence des TIC. Même si l’usage de noms « e » semble novateur, les programmes internet se développent autour des grands enjeux traditionnels des entreprises (processus achats, relation clientèle, gestion de processus industriels complexes,…). En revanche, l’usage de ces technologies facilite des sauts de performances et accélère un certain nombre d’évolutions.
A titre d’exemple, je citerai les politiques d’achats : les entreprises cherchent depuis longtemps à massifier leurs achats pour obtenir de meilleures conditions de prix, à conforter la mise en concurrence de prestataires, à acheter plus standard. Le « eProcurement » ne change rien à ces tendances lourdes, mais facilite leur développement, étend les possibilités de mutualisation à l’extérieur de l’entreprise, rend la mise en concurrence plus transparente et plus rapide, permet de mettre en oeuvre des systèmes d’enchères lisibles et en temps réel,… Bref, d’aller plus loin, plus facilement et plus vite, mais sans bouleverser les fondamentaux du processus d’achats. En revanche, les pratiques, les procédures, la culture de travail tant des vendeurs que des acheteurs sont touchées. Du temps est libéré sur les processus administratifs d’achats et doit être réorienté vers la stratégie d’achat, la qualité de l’expression du besoin.
Une réflexion « métier » en miroir du déploiement d’un service « e » est souvent indispensable. C’est d’ailleurs, pour certaines entreprises, une bonne opportunité pour repositionner des métiers « supports » (administratif, logistique,…) parfois un peu oubliés dans le passé.

VA : Les technologies internet, en particulier l’email, facilitent la communication au sein de l’entreprise, et inter-entreprises…
PB : Nos organisations, devenant de plus en plus compliquées, demeurent pauvres et réductrices au regard des ajustements complexes nécessaires au fonctionnement de nos organisations modernes. Le mail offre effectivement des possibilités intéressantes pour les acteurs souvent pris dans des rattachements multiples (fonctionnement matriciel,…). En apparence, ils respectent les « règles du jeu » en faisant une utilisation « politiquement correcte » de l’email. En parallèle, ils peuvent envoyer un message pour informer une personne hors hiérarchie. Ces stratégies permettent de mieux vivre un quotidien et des degrés de complexité ou de contraintes tendant à rendre tout un chacun un peu schizophrène…
Les technologies internet constituent par construction une facilité de communication entre deux entreprises. Des sites « utilities » proposent à leurs grands clients industriels d’accéder en temps réel à leur consommation d’énergie (par exemple) y compris multi-sites, à leur facture et à des services liés. Ces éléments permettent aux clients des arbitrages rapides, contribuant directement à une meilleure gestion de leurs enjeux économiques.
Par ailleurs, nombre de secteurs industriels utilisent des outils « collaboratifs » pour gérer plus efficacement des processus très complexes. Ces outils permettent de créer des espaces de travail virtuels partagés entre entreprise cliente et prestataires, sécurisés et intégrant davantage le travail d’acteurs répartis tout en limitant les effets de cloisonnement organisationnels et géographiques.
Cette intégration accrue est, sans aucun doute, un véritable facteur de productivité et de compétitivité. L’accélération des temps de conception et de sortie des nouveaux véhicules dans l’automobile en a été une illustration.

VA : Quelles sont les difficultés majeures dans la mise en oeuvre de services internet ?
PB : La technique évolue rapidement et offre de nouvelles perspectives. Revers de la médaille, celle-ci est de plus en plus tributaire des capacités d’intégration du changement par les femmes et les hommes. Si chaque entreprise ne peut ignorer ces facilités, la vraie difficulté consiste à évaluer les priorités et les limites à fixer dans la mise en oeuvre de services internet. Il n’existe pas aujourd’hui de réponse toute faite…
Certes, le « e » n’est qu’un ensemble de technologies et de standards ne remettant pas en cause les fondamentaux économiques de l’entreprise. En ce sens, les réactions de type « c’est un effet de mode » ou « rien de neuf sous le soleil… » sont compréhensibles.
Cependant, ces éléments réunis touchent à un point essentiel en renforçant la capacité des individus ou des communautés à s’affranchir de barrières (physiques, organisationnelles, géographiques,…) en donnant aux entreprises les moyens de mieux faire travailler des communautés transverses, en facilitant des coopérations inter entreprises. Les sauts de performance qui en découlent sont réels pour une entreprise bien qu’ils ne vont pas sans des évolutions internes très significatives.
Enfin, les effets sociétaux (rapport individu/entreprise, appui aux communautés transverses,…) doivent être pris en compte. D’autant qu’ils s’installent et se développent indépendamment de toute décision volontaire de l’entreprise. Souhaités ou non, ils sont là et il faut apprendre à les comprendre et à les intégrer. ».

*Patrick Benoît anime l’activité Conseil « Energy et Utilities » de Cap Gemini Ernst & Young France.