Nicholas NEGROPONTE « L’homme numérique »: les idées naissent des différences »
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- Les Di@logues Strategiques on 2 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques Non classé



(Les Di@logues Stratégiques® N°23 – 02/01)

Version Anglaise


Nicholas Negroponte est l’un des fondateurs et le directeur du laboratoire des médias au Massachusetts Institute of Technology’s (MIT), un centre de recherche innovant, consacré à l’étude et l’expérimentation des futures formes de la communication humaine. Il a aussi fondé le groupe pionnier  » Architecture machine group  » au MIT (groupe d’architecture des systèmes), combinaison entre un laboratoire et un groupe de réflexion, responsable de beaucoup d’approches radicalement nouvelles de l’interface humain/ordinateur. En 1995, Nicholas Negroponte a écrit « L’Homme numérique » (« Being Digital« ), un livre à succès de vulgarisation scientifique que chacun peut lire sur le Net(1).

Véronique Anger : Vous avez la réputation d’être un véritable catalyseur d’idées. Comment utilisez-vous les ressources d’internet pour permettre à de nouvelles idées de prendre forme?
Nicholas Negroponte: Les idées naissent de la différence. La plupart des circonstances et des organisations sociales minimisent les différences, consciemment ou inconsciemment. Internet est un endroit où l’on peut optimiser les différences, surtout si l’on a des aptitudes multilingues. Le point de vue vaut bien plus que le QI. C’est en ce qui concerne les trouvailles dues au hasard qu’internet nous fait défaut. Le face-à-face offre non seulement plus de pistes et d’amplitude mais, de plus, le discours en tête-à-tête et le fait de partager un espace physique peuvent induire toutes sortes d’ambiguïtés, d’incertitudes et de malentendus, qui génèrent souvent de nouvelles idées.


VA: Grâce aux opérateurs de recherche sur internet, il est maintenant facile de recueillir des informations et d’en transmettre. Définiriez-vous internet comme un « dynamiseur d’innovations »?
NN: On pourrait soutenir que les techniques de recherche actuelles sont tellement pauvres et les résultats souvent tellement idiots, qu’ils produisent une certaine forme d’innovation en étant étonnants (généralement étonnamment bêtes). A plus long terme, la recherche se fera avec des machines qui comprendront à la fois le contenu et la manière de communiquer avec vous. Cette éventualité est tellement éloignée de ce que nous connaissons aujourd’hui, qu’il est pratiquement impossible de la décrire ou l’imaginer. Ce que nous avons aujourd’hui est bien mieux que rien… Le défi qui se pose, à nous tous en général, et aux designers de moteurs de recherche en particulier, est de changer la relation entre le signal et le bruit. Le web est un endroit très bruyant au sens où des informations vieilles et dépassées ne sont pas évacuées. Il est aussi difficile de distinguer le travail d’un prix Nobel de celui d’un écolier. L’innovation peut surgir dans le cas où l’écolier a, en fait, eu une idée géniale, qui, sinon, serait passée inaperçue.


VA: Dans votre livre « L’Homme numérique », vous avez écrit :  » L’accessibilité, la mobilité et la capacité de provoquer des changements rendront le futur très différent du présent.  » Comment imaginez-vous les entreprises de demain ? Que pensez-vous de l’UMTS (Système de télécommunications mobile universel) ? Est-ce une bonne solution pour l’Europe ?
NN: L’UMTS représente un sérieux problème pour l’Europe et pourrait causer la perte d’un avantage qu’elle a actuellement sur les Etats-unis. Elle est vraiment en avance en ce qui concerne la pénétration et les applications sans fils. L’UMTS n’est juste pas assez performant. Point.
S’il est mis en place selon la spécification actuelle (appelée  » release 99 « ), l’Europe peut ne pas s’en remettre. Il faut au minimum que ce soit un vrai protocole internet et il devrait comprendre quelques-uns des éléments qui définissent le 4G (modèle de 4e génération). Ce qui rend cela possible est que le GPRS est un bon système provisoire.
Bien sûr, il y a d’autres forces qui adoptent l’UMTS, essayant de le faire advenir plutôt plus vite que plus tard, comme notamment le procédé absurde des enchères. Les gens devraient garder à l’esprit que ces enchères ne sont en aucun cas un marché libre. Le résultat n’est économiquement pas viable et très dommageable pour le paysage des télécommunications.


VA: Il y a quelques années, vous avez dit que le trafic au sol serait bientôt aérien et vice-versa. Est-ce que le dénommé « Negroponte switch » (le changement Negroponte) est un concept encore valable ?
NN : Il a bien tenu le coup. En majeure partie, la téléphonie s’est déplacée dans les airs et la télé dans le sol, et cela ne fait que s’accentuer.
Ce qui est peut-être différent aujourd’hui, est que les bits peuvent chercher leurs moyens de transport en fonction de leur nature et de celle de leur public. Si on veut amener un bit à tout le monde dans une vaste région reculée, le satellite s’impose. Si, en revanche, on veut amener des milliards de bits d’un point A à un point B dans une région densément peuplée, alors les fibres sont le meilleur moyen. Puisque maintenant on pense les bits en tant que tels, qu’ils soient des voix ou des vidéos est sans importance, il est plus intelligent de rechercher le moyen de transport le plus approprié plutôt que d’établir des règles.


VA: Internationalisation/globalisation/universalisation : pour vous, ces termes signifient-ils la même chose?
NN: Excusez-moi de vous dire ça, mais c’est un peu français de pinailler sur les mots… On peut leur faire dire ce que l’on veut à chacun, que ce soit positif ou négatif. Au fondement de tous, il y a une portée géopolitique. Pour des raisons historiques et technologiques, les pays ont émergé comme des ensembles clos, limités, auxquels la plupart des gens portent un sentiment d’allégeance bien que de manière inégale. Certains peuvent se sentir plus basques que français ou espagnols. Mais, en règle générale, l’Etat-nation a offert un ensemble socio-économique auquel les gens s’identifient. Ce qui se situe en dehors de cet ensemble est appelé international, global ou universel.


VA: A l’époque de « L’Homme numérique », vous étiez un vrai « Macophile »… Etes-vous toujours aussi enthousiaste?
NN: J’ai cessé d’utiliser Mac il y a 3 ans, 4 mois et 20 jours… Ca a été un changement douloureux -très douloureux- mais je n’avais pas le choix et je suis content de l’avoir fait. Aucune start-up ne travaillait sur mac, les périphériques étaient trop limités et les portables (jusqu’à récemment), étaient de vrais ancres de bateau. Personne n’aime vraiment Wintel mais on ne peut pas battre son ubiquité. Le mac n’a aucune raison actuelle d’exister, malheureusement. Le seul vestige est la communauté du graphisme et du design, qui, par la force de l’habitude, se sent enchaînée à cette machine.



(1) Plus d’information sur : http://archives.obs-us.com/obs/english/books/nn/bdcont.htm

Voir aussi :
« Un portable pour enfant » sur le site d’AgoraVox
« One Laptop per Child »
*Fin 2006, Nicholas Negroponte lancera le  » MIT PC « , un ordinateur portable à 100 dollars pour les écoliers des pays en voie de développement. Son projet est notamment soutenu par Google. Lire : « Un portable par enfant » (AgoraVox du 3/10/05). Voir aussi le site du Sommet Mondial sur la Société de l’Information à Tunis (Genève 2003 – Tunis 2005)