« Les bandits de la finance » : de l’amélioration des choses à la spéculation et l’escroquerie.
Comments 0
- Les Di@logues Strategiques on 2 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques Non classé


(Le point de vue de Martial Messier. 13 juillet 2009)
L’analyse de Martial Messier*, analyste financier, créateur (en 1990) de la plateforme-débat sur l’ouverture du marché soviétique : « La ruée vers l’Est : la réalité de l’or rouge ».

« Je reviens sur le dernier livre de Jean Montaldo, « Lettre ouverte aux bandits de la finance », dans lequel il nous livre l’historique de la crise financière mondiale actuelle. Tout en fustigeant l’initiateur de celle-ci – le PDG de Countrywide Financial Corp avec ses prêts risqués aux ménages, les fameux « subprimes » – il passe en revue les banques, la faillite du contrôle avec les agences de notation et les cabinets d’audit …. De fait, on est passé d’un risque idiosyncrasique – dû à la mauvaise gestion de Countrywide – à un risque systématique – dû au secteur puis à l’économie entière, frappée par une entreprise. Que dire si ce n’est que tout est vrai, de la connaissance dès 2004 de la crise partie des USA aux engagements faramineux des banques en matière d’instruments financiers. Qu’on en juge avec les montants des principaux instruments dérivés incriminés :
-> marché des CDO (Collaterized Debt Obligations, nom de la titrisation; voir infra) en 2008 : 2 000 milliards de dollars
-> marché des CDS (Credit Default Swap) en 2008 : 62 000 milliards de dollars

D’un côté ces chiffres sont a relativiser par rapport à l’ensemble des règlements internationaux (en 2008) : 675 000 milliards de dollars (donnée de la BRI, Banque des Règlements Internationaux, citée dans le livre). Ce nombre astronomique inclut ces instruments financiers mais aussi d’autres formes de règlement interfrontière (échange de devises; remboursement de prêts…) mais pas les « échanges » dans un même état des instruments financiers critiqués. D’un autre côté, il parait intéressant de comparer ces chiffres au PIB global du G7 (par ordre d’importance : USA, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Espagne) mesuré hebdomadairement pour indiquer la tendance économique : 22 000 milliards d’euros en 2008 (source : Capital), soit 30 500 milliards de dollars au taux de change actuel. De quoi donner des sueurs froides lorsque Jean Montaldo nous apprend que le coût actuel de cette crise est de 50 000 milliards de dollars, principalement pour l’épargne des ménages (estimation des économistes Bilmes et Stiglitz). Les fraudes et présentations mensongères des entreprises incriminées est un fait établi aux USA avec les différentes condamnations, mais Jean Montaldo va plus loin en évoquant l’EPO des cyclistes de la finance que sont les CDS (appelés aussi instruments financiers dérivés qui, généralement, sont censés couvrir un risque). Pour qualifier ces produits comme la raison du crime financier planétaire, Jean Montaldo rappelle que les montants cités ci-dessus ne sont pas présents dans les comptes des entreprises, mais dans une rubrique hors bilan, lorsqu’ils y apparaissent. Quelques explications, complémentaires ou différentes, méritent d’être ici exposées.

La faillite d’Enron, qu’il évoque, a amené les USA à imposer des normes de contrôle drastiques avec la loi Sarbanes-Oxlay. Cela n’a manifestement servi à rien et les raisons en sont nombreuses, expliquant aussi une autre faillite qu’est celle du contrôle. Les agences de notation sont rémunérées pour coter le risque crédit d’une entreprise ou de tout produit financier. Au même titre que les cabinets d’audit pour contrôler les comptes des entreprises. Le contrôleur est donc « contrôlé » par la rémunération qu’il recevra et, comme toute entreprise commerciale, ne souhaite pas perdre un client. Ce schéma est classique, il n’est pas exclusif des USA même si d’autres pays ont modifié la relation cabinet/entreprise avec des contrats obligatoirement pluriannuels. Et il a entraîné des biais dans le rating et le contrôle (Jean Montaldo cite un document d’une agence qui propose d’ajuster l’évaluation d’un CDO pour ne pas perdre le contrat client). Ce qui paraît véritablement incongru est que les USA n’aient pas fait évoluer leurs normes comptables et financières particulières (les FAS), contrairement au reste du monde avec les normes internationales (les IAS). Aux USA, il est toujours possible , sous certaines conditions, de ne pas mettre dans un bilan (le patrimoine d’une entreprise) les instruments financiers tels que la titrisation (voir infra) et d’autres produits financiers, comme les CDO et CDS. Personne n’est donc capable de dire quel est le risque qu’une entreprise a pu prendre. Du côté du reste du monde, il en va différemment puisque les entreprises cotées ont l’obligation d’intégrer dans leur bilan tous les instruments financiers, et dans le compte de résultat (ce que l’entreprise gagne ou perd comme argent au cours d’une année) tous les produits et charges dégagés par ces produits financiers, qu’ils soient réalisés ou non. Ce fut le cas dès le 1er janvier 2005 en Europe, ce qui permet de mieux comprendre le laxisme et la crise américaine à l’origine, alors que le FBI dénonçait dès 2004 des pratiques criminelles. Imposer une comptabilisation de ces produits financiers ne voulait pas dire que tout le monde savait comment évaluer les flux d’argent futurs desdits instruments, tant la complexité était présentent dans ces normes particulières (IAS 32-39). De la même manière que les CDS (ou d’autres instruments) étaient d’une complexité à en faire pâlir d’intelligence n’importe quel patron. Mais ce n’est pas la complexité qui a si bien fait marcher les CDS puisque celle-ci a souvent pour vocation, pour son créateur, de maîtriser une information (voire être indispensable) qu’une contrepartie appréhendera difficilement. La complexité inhibe le risque d’un instrument lorsqu’on ne voit que ce qui paraît clair. Dans le cas du CDS (Credit Defaut Swap), comme l’explique Jean Montaldo, la seule clarté éblouissante est que cet outil permet à tout acheteur, ou détenteur d’une créance (une personne avec son prêt bancaire par exemple) de se faire garantir par le vendeur du CDS le paiement en cas d’impayé et d’en exclure le montant de ses comptes. Cela n’explique donc pas la situation catastrophique des banques européennes.

De la même manière, la titrisation (grosso modo vendre ses créances a un fonds dédié qui émettra des titres dont les acheteurs encaisseront les remboursements des créanciers sous forme de dividendes) est un outil complexe mais dont l’essence aura été dévoyée. L’utilisation de ce système s’est développé du fait des PME qui trouvaient, sur un marché de gré à gré, un financement qu’elle n’avait plus ou pas facilement auprès des banques ! Par la suite, la titrisation est devenue un melting pot (diminuer les engagements des banques, transfert de risque, financement revolving de BFR, accompagnement de la croissance d’un groupe, rationalisation du portefeuille client…), puis un élément sur lequel se sont greffés d’autres instruments, tels que les CDO/CDS évoqués. On est donc loin d’un besoin de financement ou de couverture (sur des prix ou des qualités de produits) qui, rappelons-le, n’est qu’un pari sur ce que sera l’avenir. Il y aura donc toujours un perdant et un gagnant (un peu moins lorsque ce ne sont que des options). Il faut comprendre ici que toute mesure ou instrument financier visant à améliorer quelque chose à l’origine est toujours dévoyé de son objet primaire. D’où les bandits décriés ! Pour imager ce propos, prenons l’exemple d’une loi visant à améliorer un problème, loi immédiatement contournée ou dévoyée de son origine. Ainsi, la loi française qui vise a protéger les salariés de fausses mesures de licenciement (il faut comprendre ici sans les indemnités normalement dues) s’est-elle étoffée de l’obligation de proposer un reclassement. Certaines entreprises ont proposé à leurs salariés un reclassement dans des pays en voie de développement. Le salaire étant indexé sur le coût salarial pratiqué localement ! Voudriez-vous quitter la Côte d’Azur avec vos 1 500 euros pour l’Inde avec un salaire proposé de 500 roupies ? Ne souriez pas, cela s’est déjà vu… et une telle offre est conforme à la loi. Pour en revenir à nos bandits décriés par Jean Montaldo, des traders qui s’étaient mis à leur compte, après les premiers tremblements financiers, furent interviewés par les chaînes de télé : ils précisaient eux-mêmes que les marchés (ou acteurs de marché) retombaient dans leur travers ou ne tarderaient pas à y retomber bientôt. Chasser le naturel à coup de pertes de milliards et il revient au galop pour faire gonfler une autre bulle, voire la même.

En ce qui concerne les « Hedge funds » énoncés dans le livre et dénoncés par ailleurs (Sarkozy et d’autres), mon point de vue diffère un peu de l’auteur. On nous les présente comme les machiavels de la finance ayant torpillé le bon fonctionnement des marchés et ayant fait exploser la santé financière du monde. Sachez-le, il y a une grande part de vérité avec les faillites retentissantes de certains fonds (évoquées dans le livre). Mais ceux-ci ont fait tout le contraire du fonctionnement normal d’un fond. Par principe, un hedge fund annonce des rentabilités potentielles hors normes en contrepartie de risques très élevés. Le risque de perte totale de l’investissement est donc supposé connu d’un investisseur dit qualifié (cf. infra), tandis que ce risque est normalement maîtrisé par des structures de couverture adaptées. Par ce biais, un hedge fund normal fera zéro de perte quand tout le monde enregistrera des moins 20 ou moins 40%. Rappelons que dans le langage financier, hedge est une couverture et que les fonds correctement structurés existent, ne serait-ce qu’en lisant des articles ou des rentabilités publiées de fonds investis dans les hedge funds lors de périodes de retournement de marché (les informations sur le site Boursorama sont à la portée de tout le monde). Dans la réalité, beaucoup de nos machiavels ont investi tout le paquet dans un même produit a risque, ce que peu de personnes auraient fait, sans la couverture adaptée (quand on est sûr de son coup, autant aller jusqu’au bord du précipice en l’absence de frein).

Alors me direz-vous, comment puis-je avoir un point de vue différent de l’auteur ? N’oubliez jamais que les nombreux Hedge funds ont reçu beaucoup d’argent sans lequel ils n’auraient jamais proliféré. Sachez aussi que tout le monde ne peut pas entrer dans un fonds et qu’un investisseur est supposé qualifié. En effet, il faut être une personne plus ou moins fortunée compte tenu du minimum requis (un investisseur lambda devra passer par les fonds de sa banque, « brookers » et autres courtiers), mais les investisseurs sont aussi et surtout,de nos jours, majoritairement des professionnels, banques ou entreprises. Pour donner une image a titre de comparaison, ce serait celle de notre droit commercial : en tant que professionnel, vous êtes censés maîtriser et n’aurez aucun recours contrairement au consommateur qui n’y connaît rien ou qui n’a pas les moyens de s’assurer de la qualité du produit/service, voire de la réalité de ce qu’il signe. Le seul recours pour notre professionnel existe s’il y a eu une tromperie évidente organisée, notamment des fausses informations. Jean Montaldo nous explique (rappelle) que c’était le cas de Hedge funds mais aussi de grandes banques ou entreprises, américaines et françaises. Toutes les banques, dignes de ce nom, sont donc entrées au grand galop dans ces fonds à risque, oubliant – souvent avec de belles œillères et boules Quiès que formaient les mains mêmes des décideurs – le sacro-saint principe du « risk management » qu’elles ont développé : on mesure les différents niveaux de risque en évitant soigneusement les investissements trop risqués, ou en n’y mettant qu’une fraction raisonnable de l’argent disponible (un risque élevé mérite toujours un rendement plus élevé, la fameuse prime de risque d’un calcul).

On peut se demander comment les banques en sont arrivées à mettre plusieurs milliards d’euros – si elles sont françaises ou européennes – ou plusieurs milliards de dollars, lorsqu’elles sont américaines, et tout perdre du jour au lendemain ? N’entendez-vous pas au loin les mélodies fustigeant l’actionnaire et sa rentabilité impossible et imposée, souvent au détriment de la conservation au long cours d’un outil industriel ? Qu’en est-il vraiment ? Tout d’abord, il y eut le benchmarking ; on se compare. Le moins bon veut faire aussi bien que son voisin en terme de rentabilité. Le dirigeant se veut donc bon élève en s’imposant un objectif de rentabilité à atteindre. En principe celui du meilleur dans le même secteur. Il est bon de savoir que les secteurs d’activité ont des rentabilités différentes s’étalant de 3% à 15%, voire beaucoup plus. Sauf que notre dirigeant a décidé de s’autoflageller en invoquant le fameux 15% du marché et parfois celui d’un autre secteur. Il est des cas où cette auto-flagellation n’existe pas puisque ce sont bien, et dans la chronologie, les principaux actionnaires qui demandaient une rentabilité époustouflante, non pas le petit actionnaire qui ne voyait que le dividende, voire le cours de son action (il y a deux manières de voir la rentabilité ou le rendement, celle de l’évolution du cours de bourse ajusté du dividende et celle de la rentabilité des capitaux propres ou investis). Tout comme en matière de stratégie, le premier entrant dans une bonne affaire verra éventuellement de confortables marges – souvent associées a de bonnes rentabilités – que les voisins, concurrents, voudront grignoter pour avoir leur part.

Il en est de même dans le monde de la finance : auto-flagellation, rentabilité éventuellement imposée, en croquer une part. Mais ici, le grignotage de part s’avère être surtout un « j’achète, j’achète » ou un « j’en veux, j’en veux » dans la frénésie érotique que provoque le parfum de l’argent facile, ce qui rappelle pour d’autres l’adage plus pragmatique qu’il vaut mieux acheter au son du canon. Voilà comment les banques sont entrées dans les Hedge funds – lorsqu’elles n’ont pas cherché à répliquer elles-mêmes ce type de produit – ou dans l’achat de produits dérivés (elles en sont principalement les émettrices ou la contrepartie nécessaire) qui auront fait crouler le monde. D’un côté, une rentabilité des produits qui améliore la rentabilité de la banque (fermons les yeux), de l’autre un afflux monstrueux d’argent qui devait trouver affectation. Même depuis la bulle Internet, il n’y avait jamais eu autant d’argent à investir. Tous les journaux financiers l’ont rappelé au cours de ces dernières années : les liquidités étaient là. Au point que les banques en étaient arrivées à se contenter de miettes de pourcentage dans des prêts structurés lorsqu’elles n’étaient pas l’organisatrice du prêt (« arrangeur »). D’ailleurs, certains ‘financiers’ se faisaient une gloriole de faire de l’argent sur de l’argent … donc souvent sur une monnaie fiduciaire électronique qui n’avait même pas l’odeur du papier des émissions de billets. Que des gagnants a l’époque, tant que le vent de la loterie financière s’auto-entretient dans une pente (une exponentielle ?) ascendante. Comme les bourses ! Jusqu’à ce qu’elles dévissent quelles qu’en soient les raisons. Et les pertes sont conséquentes.

Nos bandits en sont-ils restés a se pourrir les uns les autres d’instruments pour se hurler ensuite dessus tels les loups d’une même meute ? Malheureusement non ! Ce serait oublier la proie facile qu’est le consommateur, argentier des banques et pourvoyeur de fonds des Etats via les taxes. Ce point est subrepticement abordé par Jean Montaldo au sujet de Madov, avec sa construction de produits inexistants aux rentabilités à faire pâlir les Hedge funds. Ces produits encore plus toxiques (50 milliards de dollars évaporés avec les personnes qui ont déclaré une perte …) se sont retrouvés dans des placements proposés aux clients domestiques des banques. Mais il y en a eu d’autres qui n’ont pas été évoqués. Ainsi, lorsque vous placez des fonds dans de la trésorerie dynamique, inutile de demander à votre agence bancaire ce qu’il peut bien y avoir dans les produits dérivés que le fonds s’autorise à utiliser dans certaines limites. J’ai testé pour vous. Vous n’aurez aucune réponse de la part de votre interlocuteur interloqué. Pire, au-delà de l’explication succincte de Jean Montaldo sur le dépassement des limites citées avant, les produits peuvent être surinvestis en action – de banques après le premier choc des subprimes, pauvre de nous en pleine crise financière – et ne pas utiliser les instruments dérivés dédiés (type swap de taux, de devise …) mais d’autres instruments qui font frémir. On comprend mieux l’absence du contrôle qui n’a pas averti les banques, et encore moins les clients. Est-ce tout pour plumer le dindon ? Loin s’en faut car, que ce soit pour les PEE (Plan d’Epargne Entreprise), les CT (Comptes Titres), les PEA (Plan d’Epargne en Action), la plupart des intermédiaires financiers peuvent jouer – ce qu’ils font souvent – sur l’écart entre les dates de transmission d’ordre (achat ou vente) et la comptabilisation de l’opération. Entre ces moments, les cours sont différents et l’intermédiaire vous remet la mois favorable pour conserver la plus favorable des valeurs. Les clients regardent rarement ce point, mais certains oui. La liste pourrait être complétée par d’autres subterfuges qui ne font pas souvent l’objet d’enquête de l’AMF (l’Autorité des Marchés Financiers, ex COB, Commission des Opérations de Bourse), ce que dit aussi Jean Montaldo en vitriolant la SEC américaine. Essayez pour voir de vous plaindre auprès de l’AMF ou d’autres régulateurs, comme l’ART pour les télécommunications.

Mais on trouve aussi des spéculateurs sur d’autres marchés physiques, comme ceux des matières premières et leurs marchés « spots » (ou instantanés). En sus des contrats de livraison physique classique et des prix associés quotidiens, on trouve une masse d’instruments dérivés, formés pour l’essentiel par des Futures. Il s’agit d’un contrat de livraison à prix fixe pour un terme ultérieur (généralement un mois à six mois). Cela assure la couverture sur la fluctuation des prix (le risque) tout en permettant de ne pas honorer physiquement le contrat. Là encore, l’envol de ces dérivés a permis le développement des marchés physiques tout en attirant de purs spéculateurs (le bon et le mauvais côté des choses). Le graphique, ci-dessous, que j’avais élaboré début 2007 dans le cadre d’un travail particulier (1), était une première en la matière puisqu’il comparait les prix des contrats de futures à un mois – la grande masse des contrats – au prix spot (journalier) du même bien à la date correspondante sur le spot gazier britannique. Il permettait de constater que le « futur un mois » ne fixait pas le prix spot, comme habituellement, mais en était parfois très éloigné, au point d’être injustifiable par des paramètres techniques. Cela me permettait d’illustrer, par des chiffres officiels et une courbe, des articles de presse spécialisée passés inaperçus et qui précisaient le sentiment de spéculation outrancière de ce marché en 2004 et 2005. Un sentiment – ceux d’acteurs du marché qui savaient – qui n’aura pas été corroboré par le résultat d’une enquête concluant sur des éléments techniques existants en hiver. Mais les chiffres sont là et les écarts de prix conséquents aussi, au point de doubler en période normale le prix d’un équivalent baril de pétrole ! Il me fallait donc une seconde courbe pour tenter de trouver une explication.

Sans entrer dans des explications techniques, ce second graphique mettait en lumière deux choses : la spéculation était très active et le marché apparemment faussé (l’annonce, début décembre 2006, d’une réduction de la production de l’OPEP, liée à la douceur climatique et à la prévision d’une moindre consommation d’énergie, aurait du mécaniquement faire baisser les futures). De l’apparence, le régulateur avait soudain décidé d’en faire une réalité en épinglant un acteur du marché soumis à enquête. Le jour où je présentais ce second graphique, Le journal Les Echos du 03 mai 2007 nous relatait cette histoire avec la filiale de trading d’EDF. Je pense très honnêtement que d’autres acteurs auraient pu être soumis a enquête, dont je n’ai d’ailleurs pas suivi le déroulement ni connu le résultat. Quand on connaît la spéculation de nos jours sur tous les marchés spots de matières premières, comme les céréales, c’est à se demander si nous aurons encore quelque chose dans notre assiette pour un prix convenable !

De la spéculation à la fraude, il n’y a qu’un pas que beaucoup ont franchi. Les éléments de réflexion que l’on peut apporter face aux dérives financières et à la crise mondiale sont de plusieurs natures.

Tout d’abord, j’ai l’habitude de dire depuis des années que la France est la championne du monde des scandales. Mais c’est sans compter sur les Etats-Unis qui ne font pas dans la demi-mesure pour ravir la première place au palmarès nauséabond des « affaires », avec une mention spéciale financière. Les Etats-Unis et la France ont de grands liens d’amitié depuis le 18 ème siècle. La France a aidé les USA dans sa guerre d’indépendance et lui a offert la statue de la liberté – on en voit les différentes natures aujourd’hui – et la clé de la bastille que l’on retrouve dans la maison de Washington au bord du Potomac. De son côté, les USA ont aidé la France (et les autres pays) dans les deux guerres mondiales tout en offrant le plan Marshall. D’un côté du symbolique, de l’autre de l’argent. Ce dernier est toujours qualifié comme étant le nerf de la guerre, au sens propre, au sens d’intelligence économique et au sens industriel et commercial, le fameux business. Du coup, on comprend que sans les banques – et à défaut de la fameuse activité « vache à lait » définie par Porter – il est difficile de faire du business. Et pourtant, le plus important pour une entreprise est de ne pas oublier le triptyque stratégique pour développer et maintenir une activité : le client – à vouloir trop le voler, il ira voir la concurrence s’il le peut; le salarié – à force de vouloir réduire la masse salariale, il dépensera son temps à la soupe populaire au lieu de dépenser son argent dans des produits et services; l’actionnaire – à force de l’abreuver de rentabilités impossibles, il perdra son investissement ou verra celui-ci se réduire (la fameuse dilution).

Ensuite, ne croyez pas que les moulins de la rentabilité n’aient pas leur Don Quichotte ! Aussi surprenant que cela paraisse, d’éminents professeurs d’Universités ou de Grandes Ecoles de commerce ouvrent le bal. Car c’est souvent au nom d’une rentabilité que se font des arbitrages industriels dont on peut se demander s’ils sont raisonnables. Des professeurs d’Harvard démontraient, dans une revue canadienne (2), qu’on comparait des choux et des carottes aux USA. Sans entrer dans le détail plus compliqué, cette comparaison favorisait, à cette époque et compte tenu de prévisions de prix officiellement retenus, les investissements en centrale à gaz au détriment des énergies renouvelables. Des ‘Don Quichotte’, et pas les moindres, et des visionnaires des énergies renouvelables dès 2003 ! En France aussi nous avons nos pourfendeurs des moulins à rentabilité. Je connais un professeur d’HEC (3) dont un article d’étude, dénonçant les pratiques des SICAV et FCP, avait été récompensé. Je n’ai pas eu l’occasion de lire cette étude, seulement un article de presse spécialisée. Par contre, j’ai eu l’occasion de discuter en 2006 avec d’autres professeurs de HEC qui pourfendaient la rentabilité de 15 % exigée, après impôts s’il vous plait! N’en doutez pas, il existe bel et bien des placements et des activités industrielles qui ont des rentabilités équivalentes ou supérieures – moins de nos jours, ce qui n’est pas le cas de la masse des investissements ou activités. Mieux encore, le DG américain de McKinsey (célèbre société américaine de conseil) expliquait, dans une interview publiée dans Les Echos de juin ou juillet 2007, la nécessité de moraliser le monde du business ! Et il devait savoir de quoi il parlait compte tenu de ce qui se passait aux USA …

Des précurseurs, sans doute, des ‘Don Quichotte’, assurément. Car rien n’a changé jusqu’au jour où l’univers, financier, s’est écroulé. Manifestement, la puissance lobbyiste dans le monde, et de la finance en particulier, créé des obstacles majeurs aux changements bienfaiteurs. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, nous n’avons pas atteint les limites du capitalisme. Ce sont plutôt les bandits, ceux dénoncés par Jean Montaldo mais d’autres encore, qui ont fait exploser les limites du capitalisme financier. Et de quelle manière. Quand on sait que les marchés américains commençaient a s’écrouler en 2007 et que des sociétés financières françaises investissaient à ce moment dans les subprimes ou autres dérivés, souvent via leurs filiales américaines ou de trading, alors qu’aucune information ne transpirait en France sur ce qui se passait outre-Atlantique … Vous l’avez compris, il n’y a pas que les Hedge Funds qui devraient être particulièrement encadrés, les sociétés qui le sont déjà en principe aussi ! On en vient même à se demander si Obama n’aurait pas intérêt à suivre le discours de Mc Cain dans l’hypothèse où les CDS exploseraient : laisser les banques et sociétés d’assurance (souvent les deux activités dans une même société en Europe) s’écrouler – la fameuse loi du marché. Quitte a garantir les économies/placements des ménages et les prêts au tissu industriel (PME…), les deux mamelles pourvoyeuses des PIB. Car la manne financière des taxes n’est pas une donnée extensible à loisir et je me demande si des économistes n’auraient pas déjà calculé l’élasticité consommation/taxes ? Dit d’une manière plus compréhensible, quel serait le niveau d’impôts futur à partir duquel la consommation stagnerait après avoir sans cesse augmenté – figure normale de l’élasticité – voire chuterait totalement telle une cloche … de Gauss ? Quand Jean Montaldo nous apprend que de nombreuses villes et autres offices HLM ont déjà des CDS, qu’en sera-t-il vraiment du niveau d’impôts futur en France (4) ?

Je conclurais, en rejoignant Jean Montaldo, que nous ne sommes pas entourés que de sacrés bandits. En effet, la majeure partie des patrons d’entreprises sont d’honnêtes citoyens du libéralisme et non pas de l’ultra-libéralisme détestable qui n’a rien d’humain, on l’a encore plus constaté aujourd’hui. Mais ce que l’on retient le plus souvent est le côté noir des choses, les scandales qui s’affichent plus facilement dans notre mémoire que les réussites, surmédiatisés. Notre mémoire peut être sélective, notre mémoire collective sélectivement organisée. Par ailleurs, le trou noir financier fonctionne comme un trou noir au début de son existence dans une galaxie (5) : après un gavage « d’étoiles » (vs « de milliards ») à grande vitesse, il rejette « de l’énergie » (vs « des miettes de milliards ») sous forme de jets de gaz mais « la matière première» (vs « l’argent ») de sa gourmandise a néanmoins disparu. ».

Martial Messier, le 13 juillet 2009

Notas :

(1) Thèse intitulée « Vers un renouveau des mécanismes européens d(indexation des achats de gaz » : Pour une lecture rapide (5 minutes) : http://www.fichier-pdf.fr/2009/07/15/tsjf72g/theseSout.pdf- Pour une lecture complète : http://www.fichier-pdf.fr/2009/07/14/4ynaa8k/th%C3%A8seV16.pdf
(2) “Centrales au gaz et énergies renouvelables”, Les cahiers de l’énergie, Centre Helios.
(3) L. Calvet, détenteur de la chaire Energie Finance à HEC.
(4) Bien que la comptabilité publique se soit rapprochée de la comptabilité des entreprises en normes françaises, on est loin des normes internationales imposant la comptabilisation de ces produits… Ce point rejoint un débat naissant entre économistes sur l’éventualité d’une hausse future des impôts à la suite d‘un gros emprunt d’Etat annoncé (modalités à définir), certains envisageant un niveau futur du taux d’impôts, toutes sources confondues, bien supérieur à 60 %.
(5) Les galaxies, ici les continents de notre monde, sont-elles toutes logées a la même enseigne ? Les Etats-Unis sont dans le gouffre, mais il faut compter avec leur capacité de réaction et d’innovations technologiques (rien que 150 milliards de dollars dans les énergies renouvelables et des produits innovants déjà existants). L’Europe est dans autre gouffre, mais les pays peinent a s’accorder sur les moyens. L’Asie, et plus précisément la Chine, est déjà sortie de la crise avec des mesures (440 milliards d’euros sur deux ans) assurant une croissance plus équilibrée selon Luca Silipo, un expert (la Corée du Sud investit massivement dans les énergies vertes et le Japon est le 1er pays au monde en terme de dépense en R&D). Je pense aussi que l’Asie du Sud-Est pourrait être mieux armée pour une croissance continue, les principales banques ayant été peu ou pas affectées par la crise des subprimes. Quant à l’Afrique, la Banque africaine de développement fait déjà ce qu’elle peut pour sortir ce continent du désert.

*Après avoir débuté sa carrière à EDF-GDF (Distribution), Martial Messier (diplômé de HEC) a occupé diverses responsabilités en Finance et à l’International chez Gaz De France jusqu’en 2008. Il a réalisé en 1990 une plateforme débat sur l’ouverture du marché sovietique (« La ruée vers l’Est : la réalité de l’or rouge ») et a developpé en 1998 une méthode de « management control ». Il est aussi l’auteur d’une thèse définissant de nouveaux mécanismes d’indexation pour les contrats d’achats de gaz, déconnectés du pétrole et applicables aux matières premières. Par ailleurs, amateur de voyages et passionné de plongée sous-marine, il s’intéresse depuis plusieurs années aux énergies « vertes ». Son site web : http://orion56.over-blog.com/