Le capital Humain, meilleur atout de l’entreprise
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- Les Di@logues Strategiques on 2 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques Non classé



(Les Di@logues Stratégiques® N°6 – octobre 2000)

« Trivium, signifie en latin « trois voies » et, par extension, la bifurcation. Ce nom a été choisi parce que Trivium se tient aux carrefours où s’exerce la liberté sur les nouveaux réseaux de communication.

Base de l’enseignement libéral dans l’antiquité et le moyen-âge, le trivium, base de l’éducation, rassemblait la grammaire (savoir lire et écrire), la dialectique (savoir discuter, communiquer) et la rhétorique (savoir composer un message). Ainsi, le trivium désigne le noyau essentiel des sciences de la communication et le commencement des chemins d’apprentissage. » Michel Authier, PDG et fondateur de Trivium.


Véronique Anger : En quoi consiste votre approche « capitalistique » des compétences et des richesses humaines ?
Michel Authier : Nous vivons dans des environnements technologiques, organisationnels, concurrentiels, qui évoluent de plus en plus vite. Pour rester compétitives dans ce contexte d’innovation permanente, les entreprises doivent profiter des problèmes qui émergent de façon imprévue pour se transformer, et apporter des réponses originales. Celles qui gagnent sont souvent celles qui identifient et occupent les premières un marché nouveau…
Or, les schémas organisationnels des entreprises ont été bâtis sur des méthodes rationnelles, dans lesquelles la stabilité des situations et la prévisibilité des résultats sont décisifs. Pendant longtemps, les machines, les capitaux, les procédés de fabrication, ont incarné la richesse principale des entreprises ; l’individu étant utilisé pour effectuer une tâche déterminée.
Aujourd’hui, il apparaît que les seuls acteurs de l’entreprise capables de répondre très rapidement à des situations nouvelles de façon originale sont les êtres humains. De ce fait, l’homme s’impose objectivement comme la vraie richesse des entreprises.
Désormais, l’enjeu est moins la gestion des ressources humaines que la valorisation et la mobilisation des richesses à travers la capitalisation et l’exploitation des compétences et des connaissances de l’entreprise. C’est pourquoi il me semble que les managers devraient repenser la pratique stratégique.
La stratégie n’est pas l’art du commandement à la prussienne, c’est l’art de mobiliser le capital humain.
Avec la reprise de la croissance économique, l’intérêt financier ne suffit plus à mobiliser les troupes… Pour donner le meilleur d’eux-mêmes, les individus ont besoin de trouver leur travail intéressant. Il faut donc essayer de faire du temps consacré au travail un moment de vie enrichissant.
Il faut réunir les hommes dans le cadre d’un vrai projet d’entreprise afin de faire émerger un « collectif intelligent » (le mot « intelligence » étant compris dans son sens étymologique). Il s’agit de créer de l' »interlien » entre les hommes.
Au sein de ce collectif, chacun trouvera intérêt à déposer et à acquérir de la connaissance, passer des alliances pour inventer collectivement et rapidement des solutions, trouver sa place et s’épanouir à son rythme, tout en contribuant à la richesse collective de son entreprise. Les hommes pourront se différencier, mais aussi se valoriser, saisir des opportunités pour évoluer en obtenant un panorama plus précis des compétences recherchées par leur entreprise. Ainsi, un processus dynamique de capitalisation des connaissances et des compétences va naître de cette accumulation d’intérêts.


VA : Comment aidez-vous les entreprises à faire émerger une intelligence collective ?
MA : Les entreprises cherchent trop souvent à élaborer un inventaire statique des richesses humaines. Combien de projets de gestion des compétences ont été abandonnés parce qu’ils se réduisaient à un fastidieux et coûteux travail de référencement des métiers ou des emplois ? L’exploitation des compétences n’a de sens que si elle est évolutive, et directement liée aux projets stratégiques des entreprises.
Trivium s’efforce d’apporter cette vision aux entreprises en essayant de montrer combien est essentiel le rôle de tous les acteurs au sein de la capitalisation. Nous recommandons des méthodes de capitalisation incitatrice et mobilisatrice des connaissances. Nous proposons une interprétation de la logique d’interaction des êtres humains à travers leurs connaissances et leurs compétences. Cette représentation imagée du capital « immatériel » de l’organisation s’appelle unarbre de connaissances® ou arbre de compétences®. L’arbre grandit avec l’entreprise, qui l’enrichit au fur et à mesure qu’elle évolue.
L’objectif est de donner une vision globale et dynamique des ressources dont elle dispose en termes de richesses humaines, de mettre en évidence les zones d’expansion des connaissances et des projets, de permettre à des consultants, à des experts, …, de mieux conseiller les dirigeants et leurs collaborateurs.


VA : Selon vous, l’Internet est-il en train de devenir un système intelligent à l’échelle planétaire ?
MA : L’Internet, c’est de l' »interlien ». D’un point de vue étymologique, il a donc une relation avec l’intelligence… Cela dit, nous avons oublié le vrai sens du mot intelligence, trop souvent assimilé à une capacité performante de pensée.
Je m’interroge depuis longtemps sur Internet. Il me semble que ce système sert très bien l’intelligence… des gens intelligents, ainsi que leur désir d’entrer en contact les uns avec les autres. En revanche, quel résultat conscient produit-il par lui-même ? Je n’en vois aucun.


VA : Que pensez-vous des théories de Guy Theraulaz et d’Eric Bonabeau se fondant sur l’étude d’êtres frustres (abeilles, fourmis, …) pour résoudre des problèmes complexes dans les sociétés humaines ?
MA : Si vous introduisez 10 000 abeilles supplémentaires dans une ruche, celle-ci entre en crise. Son organisation ne résistera pas longtemps à un changement important d’environnement.
Nous vivons dans un monde qui change constamment. Tout parallèle avec des sociétés d’insectes risque d’occulter l’essentiel.
Si vous vous reportez aux ouvrages de Claude Lévi-Strauss ou de Pierre Clastres sur les sociétés dites primitives (qui possèdent une stabilité relativement forte d’un point de vue organisationnel), vous observerez qu’elles s’imposent des règles de fonctionnement extrêmement contraignantes. Jouer sur une société stable conduit à aliéner la liberté de chaque individu (voire, à en éliminer les éléments perturbateurs) en lui attribuant, une fois pour toutes, une place dans le groupe.
Il n’existe pas de logique stable dans le comportement humain, mais une dynamique qui crée la stabilité humaine. A la différence des sociétés d’insectes, où le programme d’organisation reste stable, la force colossale du genre humain est son impressionnante capacité d’adaptation.
L’homme tient en équilibre sur sa bicyclette parce qu’elle est en dynamique permanente… De même, l’homme doit trouver son équilibre dans des organisations en évolution imprévisible.



*Mathématicien, philosophe et sociologue, Michel Authier a publié plusieurs ouvrages, dont « Les arbres de connaissances » avec Pierre Lévy et « Pays de Connaissance », préfacés par Michel Serres ; « L’analyse institutionnelle » avec Rémi Hess. Plus d’infos sur Trivium.
A lire également le portrait de Michel Authier dans 01 Informatique : « La connaissance reconnue » (septembre 03)