Véronique Anger : Existe-t-il une définition précise et officielle du handicap ? VA : De l’obligation légale d’employer des personnes handicapées à l’application pratique, il reste un pas que beaucoup d’entreprises refusent encore de franchir. Selon vous, quelles en sont les raisons ? VA : Comment inciter les employeurs à embaucher davantage de personnes handicapées ? VA : Intégrer la personne handicapée dans le milieu ordinaire du travail à un coût. Comment finance-t-on une telle opération ? VA : Dans la thèse de Doctorat, que vous avez soutenue à l’Institut de Haute Finance (en 95), vous imaginez des solutions novatrices pour l’avenir… *Diplômé de l’Institut de Haute Finance de Paris, Cyril Nemorin travaille également pour la Commission des Fonds de Garantie pour le Développement des Ateliers Protégés géré par le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, l’Institut de Développement et de l’Economie. Pour recevoir le programme d’intervention de l’Agefiph : 1. Déficient ou incapable : nous utiliserons le mot » handicapé » pour simplifier
« Si tant de chefs d’entreprise préférent payer une amende plutôt que d’embaucher des personnes handicapées, c’est en partie en raison d’une totale méconnaissance des compétences disponibles sur le marché et des aides multiples octroyées par le Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées. » Une déclaration de Cyril Nemorin*, Directeur Financier et Comptable de l’Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés (APAJH).
Cyril Nemorin : En 1980, l’OMS a arrêté une définition officielle prévalant sur toutes les autres. Elle emploie les mots : déficience (du langage, de l’audition, de la vision, de la locomotion), incapacité ou désavantage (de parler, d’écouter, de voir, de s’habiller, de se nourrir), parfois handicap (lié à l’orientation, l’intégration sociale) pour se rapprocher d’une certaine réalité. Le principe de base vise à considérer tout le monde comme handicapé à un certain degré. La situation de handicap est relative, donc susceptible d’être corrigée ou atténuée. Une interprétation différente reviendrait en effet à catégoriser définitivement une personne.
Etre handicapé(1) n’est pas un état immuable, encore moins l’essence d’une personnalité. Bien entendu, pour des raisons pathologiques, certaines personnes gravement atteintes ne pourront jamais pratiquer un métier. Dans ce cas, elles seront intégralement prises en charge par des institutions thérapeutiques. En revanche, celles qui ont la chance de pouvoir travailler pourront intégrer des structures économiques adaptées.
Deux structures parallèles(2), au sein de l’APAJH :
- Les Centres d’Aide par le travail (CAT) financés, pour la partie sociale, par l’Etat, et pour la partie commerciale, par les revenus du travail du centre
- Les Ateliers Protégés (AP) gérés comme une entreprise, et tenus à un certain rendement qui lui assure son équilibre(3) financier
sont destinés à aider les personnes handicapées à trouver une place dans la société. Les employés d’un CAT pourront, s’ils sont suffisamment autonomes et qualifiés, rejoindre un AP. Certains pourront ensuite intégrer une entreprise » ordinaire « .
La loi du 10 juillet 1987 (visant à rénover la loi d’orientation votée à l’initiative de Simone Veil en 1975(4) oblige les établissements de plus de 20 salariés a embaucher 6%(5) de personnel handicapé sous peine de se voir infliger une amende très importante.
CN : De mon point de vue, le fond du problème est le suivant : les personnes valides sont » économiquement » intéressantes car, en travaillant, elles participent à la vie économique de la société. En revanche, il est plus difficile d’évaluer la contribution économique des personnes handicapées. Certes, celle-ci est limitée, mais elle est réelle.
De plus, le texte de 87 offre une alternative : soit embaucher, soit employer en sous-traitance (dans leurs murs ou dans le site de l’AP) des personnes handicapées.
Pour recruter, il ne suffit pas d’être volontaire et plein de bonnes intentions. Il faut que l’environnement soit accessible, accueillant, et que le personnel valide ait été sensibilisé. C’est pourquoi sous-traiter aux Ateliers Protégés est souvent la solution de facilité.
Je pense que si tant de chefs d’entreprise préfèrent aujourd’hui payer l’amende, c’est en partie à cause d’une totale méconnaissance des compétences disponibles sur le marché et des aides(6) multiples octroyées par le Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées.
CN : Il faut savoir que 62% des entreprises, en refusant d’embaucher des personnes handicapées, versent au total 1,8 milliard de francs d’amendes !
Pourtant, recruter une personne handicapée ne coûte rien à l’entreprise. Hormis le salaire, tout est pris en charge par l’Agefiph (formation professionnelle, aménagement du poste de travail, accessibilité au lieu de travail, …).
En réalité, la difficulté est plus d’ordre social qu’économique. Les mentalités évoluent mais, à l’aube du troisième millénaire, le handicap fait toujours peur…
Certaines sociétés exprimeront sans doute longtemps encore des réticences à embaucher du personnel handicapé. Je les invite à recourir à la sous-traitance (pour le routage, la mise en palette, …). Il est grand temps de changer les mentalités et les comportements.
J’aime citer cette phrase de Michel Gillibert, ancien Secrétaire d’Etat aux handicapés et accidentés de la vie : » Ma volonté est d’offrir aux personnes handicapées le plus de choix possibles pour leur permettre, dans la dignité, l’intégration, c’est-à-dire être des éléments actifs dans notre société parce que, demain, les uns pourraient être les autres. « .
CN : L’objectif social (intégrer la personne handicapée dans la dignité) prime sur l’économie, mais cet objectif a un prix qu’on ne peut se permettre d’ignorer. Intégrer des personnes handicapées dans la société » coûte » et rapporte à la fois de l’argent(7). On ne peut pas » semer à tout vent « , la gestion sociale réclame des méthodes et des structures adaptées.
Un autre problème se pose : comment allons-nous résoudre le problème de l’accueil des personnes » dépendantes » ? Le vieillissement de la population (valide et handicapée) représente un poids économique pour l’Etat, qui n’a plus les moyens de financer les maisons de retraite (Maisons d’Accueil pour Personnes Adultes Dépendantes, MAPAD). Ce sont donc les assureurs, les mutuelles,… qui, par défaut, prennent le relais et créent des structures parallèles.
CN : Si la loi de 87 n’a pas suscité les embauches espérées, elle a certainement bousculé les consciences, mais trop souvent hors de l’entreprise. C’est un premier pas en avant. C’est pourquoi je suis persuadé que, demain, nous pourrons nouer de nouvelles solidarités.
Je propose de transformer la société à commandite simple en « société à commandite simple à caractère social (ou à parts sociales) ».
L’acte social peut être économique de manière naturelle. Placé dans le contexte d’une société à commandite simple, il devient économique par son caractère juridique.
Prenons l’exemple d’une entreprise familiale. Le père, chef d’entreprise décède. Aucun enfant n’envisage de lui succéder. Faute de repreneur, le personnel est licencié. Face à ce constat d’échec économique et social, la société à commandite simple à caractère social ouvre une nouvelle voie. La reprise de PME/PMI permettrait de pérenniser, ou de développer des emplois en intégrant des personnes handicapées.
Cyril Nemorin a été nommé, le 6/10/00, Expert en Haute Finance par le Ministère du Travail et le Ministère de l’Industrie et du Commerce.
Pour en savoir plus sur l’APAJH : http://www.apajh.org
Tél : 01 46 11 00 11 / Fax : 01 46 11 00 12 (192, Av. Aristide Briand. 92226 Bagneux Cx)
2. Les AP et certains CAT disposent d’un Service d’Accompagnement et de Suivi (SAS)
3. En terme associatif, le profit n’existe pas
4. La loi Veil scelle et actualise les fondements du premier texte (approuvé en 1957) reconnaissant le droit au travail des personnes handicapées en état d’exercer une profession. Alors que la loi de 57 constituait une charte de reconnaissance, sans portée en droit ou en fait, celle de 75 garantit à tout handicapé non seulement le droit à l’emploi, mais à un emploi meilleur (conditions et environnement mieux adaptés)
5. Ainsi, 6% de 20 personnes à plein temps, pouvant être convertis en plusieurs temps partiels
6. Le Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées (AGEFIPH, créé par arrêté ministériel le 23/09/88) propose 17 mesures pour favoriser l’emploi des personnes handicapées (primes à l’embauche, aménagement des postes de travail, accessibilité des lieux de travail, contrats en alternance et d’apprentissage, formation professionnelle, soutien et suivi de l’insertion, détachement en entreprise, aides aux innovations, …)
7. La dotation globale de l’Etat représente 2,5 milliards de francs.
Handicap et économie : nouer de nouvelles solidarités
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- Les Di@logues Strategiques on 2 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques
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(Les Di@logues Stratégiques® N°8 – 11/00)