« CONDUIRE JUSTE » AVEC JEAN-PIERRE BELTOISE
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- Les Di@logues Strategiques on 3 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques Non classé




(Par Véronique Anger-de Friberg. Octobre 2000)


Ancien champion automobile (trois fois vainqueur de F1 dans les années 70)Jean-Pierre Beltoise* porte un regard sans concession sur la politique de la France en matière de sécurité routière.
Inventeur de la méthode « Conduire juste », ce grand pilote, qui « avale » plus de 100 000 kms de route par an, a fait le pari de rouler sans accident. Un pari réfléchi, qui ne doit rien au hasard ni à la chance…


Véronique Anger : Parlez-nous de votre école. Comment vous est venue l’idée de la méthode « Conduire juste » ? Jean-Pierre Beltoise :
Lorsque j’étais jeune, je roulais comme un fou-furieux. Je voulais à tout prix devenir coureur automobile. J’avais une ambition très forte puisque j’ai réussi… mais j’ai longtemps vécu le risque comme un insouciant, m’accordant de trop faibles marges de sécurité.
Puis j’ai perdu des proches dans des accidents et ça, c’est insupportable. Alors, j’ai décidé de réfléchir aux moyens d’éviter les accidents (on sait que plus de la moitié d’entre eux pourraient être évités) en inventant une méthode appropriée.
C’est ainsi que « 
Conduire juste » est née en 1985. Cette méthode a pour vocation d’expliquer les dangers de la circulation, permet d’acquérir un comportement routier responsable et efficace afin de ne pas risquer sa vie ni celle des autres.
L’école « Conduire juste » (devenue référence en France) a formé près de 10 000 automobilistes en 1999. Nos clients sont à 90% des entreprises, qui ont décidé de consacrer une part de leur budget de formation professionnelle à responsabiliser leur personnel (pas seulement itinérant) en leur faisant suivre nos stages. Les chiffres attestent que nos  » diplômés  » ont effectivement deux fois moins d’accidents que la moyenne nationale.



VA : Les assureurs ont donc tout intérêt à encourager votre initiative… JPB : Si l’on considère les 800 000 nouveaux permis obtenus chaque année en France, les assureurs ont effectivement intérêt à nous suivre dans cette démarche.
Diminuer le nombre d’accidents permettrait de baisser les primes d’assurance tout en assurant une marge confortable (le risque automobile diminuant) aux compagnies d’assurance.
Hélas, les mentalités évoluent lentement et je crains que les assureurs n’aient pas encore pris conscience de ce phénomène… Mon vœu serait de les convaincre et, pourquoi pas, qu’ils investissent dans mon entreprise (qui est organisée et rentable financièrement) pour créer une quinzaine d’écoles « Conduire juste » et, ainsi, couvrir tout le territoire français afin de démontrer l’efficacité de notre éducation routière sur une plus grande échelle. J’espère que cet appel sera entendu…



VA : Que pensez-vous de la politique française en matière de sécurité routière? JPB : En dépit des campagnes de sensibilisation, et d’une répression de plus en plus forte, nous ne parvenons pas à réduire le nombre de morts ni de blessés graves sur les routes. Il faut bien avouer que la politique de sécurité routière menée par notre pays est un échec.
Je vois quelques raisons simples à cela. La première est due à l’apprentissage. Pour commencer, nous n’apprenons pas à « bien conduire », encore moins à bien nous comporter, ou à respecter les autres automobilistes.
En fait, aujourd’hui, la seule chose importante, c’est d’obtenir à tout prix le petit papier rose (pour aller travailler ou tout simplement se déplacer), mais cela relève plus de l’obligation que d’un choix délibéré. Ceux-là vont « bachoter » le code, suivre la vingtaine de leçons obligatoires et réussir de la même façon, mais sans avoir compris les vrais dangers de la route.
Quelle expérience auront-ils du freinage d’urgence, de la conduite de nuit, de la perte d’adhérence d’une automobile, de la nécessité d’observer loin devant, d’imaginer que le pire peut se produire, ou de considérer son temps de réaction pour définir la bonne distance de sécurité,…? En revanche, on va leur apprendre à revendiquer sans se soucier du contexte : « J’ai priorité, c’est donc à moi de passer et, si nécessaire, je force le passage ».
Je ne mets absolument pas en cause les auto-écoles, qui ne peuvent faire autrement qu’appliquer un programme imposé. J’accuse nos Institutions, à l’origine de ces règles totalement inadaptées.
Nous connaissons les résultats de cet enseignement (associé à un comportement généralement agressif)… Je vous le dis très franchement : ce système produit des conducteurs d’autant plus mauvais qu’ils imaginent détenir la vérité…
Je prépare un livre sur ce sujet, qui devrait paraître dans quelques mois aux Editions du Cherche Midi.



VA : Vous êtes plutôt sévère… Que proposez-vous pour améliorer la situation ? Compte tenu de votre expérience personnelle, vous avez certainement été consulté à ce sujet par nos Dirigeants…
JPB :
Absolument pas ! Aussi bizarre que cela puisse paraître, aucun représentant de l’Etat ne m’a jamais demandé de lui faire des propositions à ce sujet…
Les conducteurs ne sont pas seuls responsables de ce triste score routier. Il est incontestable qu’une mauvaise signalisation accroît les risques d’accidents. Par ailleurs, je vous rappelle qu’en raison de la situation géographique de notre pays, notre territoire est « traversé » par une quantité de poids-lourds, d’autocars hollandais, espagnols, italiens, … Cet été, vous aurez certainement observé que ce type de véhicule était impliqué dans la majorité des accidents. Pourquoi, au lieu de la simplifier, compliquer la signalisation routière en installant de nouveaux panneaux, de nouvelles interdictions, …?
La qualité des revêtements s’est nettement améliorée, mais les routes contiennent encore trop de « pièges » : des ronds-points mal conçus, des panneaux mal implantés ou des sorties indiquées au dernier moment, …
Ne peut-on tirer les leçons des expériences réussies dans des pays voisins ? Je pense à l’Angleterre, dont le bilan routier est le meilleur d’Europe (2 à 3 fois moins de morts qu’en France) malgré une vitesse limitée à 96 km/h sur les nationales (90 km/h chez nous) et des conditions climatiques souvent défavorables. Si les résultats sont meilleurs, c’est en grande partie grâce à leur bonne éducation routière, qui fait appel à la logique, à la capacité d’improviser et au respect de l’autre.
Essayons de réfléchir et de mettre en place un système qui responsabilise (plus qu’il ne culpabilise) en expliquant à tous que les véhicules automobiles (de la bicyclette au camion) nous facilitent tellement la vie qu’il suffirait d’un peu de bon sens et de respect des autres pour progresser vers un système plus convivial, garantissant une bien meilleure sécurité.



VA : Quel est votre point de vue au sujet de la mise en cause systématique de la vitesse par les pouvoirs publics ? JPB : Il est clair que la vitesse est un facteur aggravant en cas d’accident. Mais je peux vous assurer que la plupart d’entre eux sont dus à un mauvais comportement routier.
Prenons l’exemple des dépassements. Si vous avez un moteur peu puissant, vous aurez remarqué que le « dépassé » accélère souvent au lieu de faciliter le passage. Parfois, il faudra plusieurs tentatives avant de réussir. Pourquoi un tel comportement est-il aussi fréquent ?
Pour moi, l’assassin en puissance n’est pas le conducteur vigilant, qui dépasse la limitation de vitesse avec une grosse cylindrée sur une route bien dégagée dans de bonnes conditions météo, mais l’inconscient qui, en vous empêchant de doubler ou en vous serrant de près avec beaucoup d’agressivité mal placée, met en danger la vie des autres et démontre ainsi un total manque de maîtrise de soi. Cette maîtrise de soi et de son véhicule étant sans doute la plus grande qualité du bon conducteur.
Attention, je ne prêche pas pour le non respect des limitations de vitesse. Simplement, je pense qu’il faut savoir adapter sa conduite à l’environnement (trafic, météo, visibilité, adhérence, …) en fonction de sa propre expérience.
Les moins de 25 ans sont 4 fois plus victimes d’accidents de la route que les autres. Pourtant, ils font rarement l’objet de retraits de points pour excès de vitesse… La grande vitesse, facteur aggravant ? Dans certains cas, bien entendu.
Mais aujourd’hui, la force publique se limite au plus facile -ou au plus visible- (contrôles radars, port de la ceinture, …). Il ne faudrait pas occulter les méfaits de l’alcool, la drogue, la fatigue, l’inexpérience et, bien entendu, les comportements dangereux.


VA : Vous avez un tempérament de champion, donc j’imagine que vous croyez à une prise de conscience des dirigeants et des citoyens… JPB : Bien sûr, et puis je déteste travailler pour rien ! Je ne suis pas un Don Quichotte… Je suis convaincu, comme le Ministre Jean-Claude Gayssot, que nous finirons par réussir à diviser par deux le nombre d’accidents. Pour réussir, il nous faudra faire preuve de bon sens, et ne pas hésiter à nous inspirer de ce qui marche dans les autres pays.
Si notre Ministre de l’Education Nationale, Jack Lang, lit ce papier, je l’invite à réfléchir à l’opportunité de dispenser une véritable « instruction routière » à l’école pour que les jeunes acquièrent un comportement plus respectueux des autres et prennent conscience plus tôt des risques de la circulation.

*En plus de nous avoir faire rêver sur les circuits automobiles (10 titres de Champion de France, 1 titre de Champion d’Europe F2 et 2 titres de Champion du monde des marques en sport-proto) Jean-Pierre Beltoisea également brillé en compétition moto (11 titres de Champion de France). Il a créé son école « Conduire Juste » à Trappes, en 1985. Pour en savoir plus :http://www.beltoise-evolution.fr