Aujourd’hui la guerre
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- Les Di@logues Strategiques on 15 novembre 2015 inLes Di@logues Strategiques Non classé
Aujourd’hui la guerre
(Billet d’humeur du 14 novembre 2015. Par Véronique Anger-de Friberg)


À nouveau cette horrible impression de gueule de bois, comme après l’annonce d’un décès dans la famille. Nous sommes en deuil, c’est vrai. Nos démocraties sont fragiles face à l’innommable. Je ne sais pas comment tout cela va finir, ni si cela va finir, parce que nous avons tellement manqué de courage quand Daech a commencé à terroriser les foules. Mais ça se passait loin… là-bas… loin de nos yeux, loin de nos coeurs…

Aucun pays occidental n’a eu le courage d’aller éradiquer le Mal nazi. Daech n’est rien d’autre que du nazisme. Même négation de nos valeurs humanistes. Même négation de l’Humanité toute entière. Même volonté de s’étendre et de prendre possession de nos territoires et de nos âmes. Même délire de grandeur et de domination. La quête des chefs qui dirigent et conditionnent les fous d’Allah, qui ont bien peu à voir avec le dieu qu’ils nomment mécaniquement, ne veulent pas le salut de nos âmes, mais bien conquérir ressources et territoires et s’imposer comme un état puissant qui domine le monde.

La guerre n’est pas à nos portes, comme le pensaient depuis la tuerie de Charlie de nombreux observateurs et ceux qui nous dirigent. La guerre est là, chez nous, au coeur de nos villes. Je suis très en colère aujourd’hui parce que tout cela n’aurait jamais dû arriver. Si les élites censées nous éclairer avaient osé regarder la vérité en face, si elles avaient fait preuve de courage face aux ennemis déclarés de la République, si nous avions accepté de considérer cette constante que l’Histoire toujours se répète, non pas à l’identique, pas exactement de la même façon avec les mêmes mots et les mêmes maux, mais elle se répète et nul ne pouvait l’ignorer. Tous les signes étaient là depuis les premiers coups d’éclat de ceux qui se revendiquaient EI.

Pourtant, le monde dit libre n’a cessé de s’enfoncer dans le déni. L’Europe, fière de son prix Nobel de la Paix, de sa vision progressiste de l’Humanité, de cette impalpable communauté de destin, n’a cessé, alors que grondait déjà le chaos, de se gargariser de ses 70 ans de paix. L’UE transformant un « continent de guerre en continent de paix(…) libérant le monde du fléau de la guerre et de la militarisation » . Mais de quelle paix parle-t-on ? Quand tant de pays à nos portes vivent dans la guerre ou la terreur ? De quelle paix parle-t-on si nos jeunes doivent désormais apprendre à vivre au quotidien avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête ?

Ce n’est pas le réchauffement du climat ou la fin du travail qui m’inquiètent pour les générations futures, c’est la guerre. La guerre, ici et maintenant. La guerre aujourd’hui. Cela fait quelques années déjà que nous sommes quelques uns à l’annoncer cette guerre pas comme les autres -vraie guerre néanmoins- à laquelle nous sommes confrontés chez nous aujourd’hui. Je crois que ceux qui nous gouvernent sont passés à côté de l’essentiel. Les intellectuels et les observateurs aussi. Ils n’ont pas voulu écouter les experts qui les alertent depuis des années sur la montée d’un nouveau nazisme incarné par l’autoproclamé État Islamique, riche comme un pays africain et contrôlant des zones d’Irak et de Syrie aussi étendues que la moitié de la France.

À force de se croire intouchables et bien à l’abri, voilà que ceux qui nous dirigent se révèlent impuissants à endiguer cette guerre d’un nouveau genre. Cette guerre qu’ils n’osent pas nommer. Ces combattants qu’ils désignent tour à tour comme des victimes de notre modèle libéral, des oubliés de la République, voire des esprits fragiles et irresponsables. Il est grand temps que l’État français montre sa force. Non pas comme le FN et ses leaders, qui désignent des boucs-émissaires et instrumentalisent la peur et le désarroi pour diviser les citoyens, les liguer contre un faux frère, ennemi fabriqué de toute pièce et qui n’a rien à voir avec Daech.

À force de mal nommer les choses, à force de ne pas nommer le Mal qui nous ronge depuis des années, nous avons fini par abandonner nos institutions aux mains des ennemis de la liberté et de la fraternité. Nous avons fini par endormir les consciences en dirigeant les peurs contre cet “étranger” qui n’a rien de commun avec ces fous d’Allah et ceux qui les instrumentalisent non par folie, mais par calcul.

Tolérance zéro contre ceux qui bafouent nos valeurs, disions-nous après les attentats du 7 janvier 2015. Tolérance zéro pour ceux qui excusent les nazis de Daech en justifiant par des “oui, mais…” des actes inacceptables. Tolérance zéro pour le communautarisme intégriste que nous tolérions au nom de la démocratie, par peur de “l’amalgame” ou pour prouver à quel point nous sommes de bons Républicains, tolérants et ouverts d’esprit. Les valeurs en opposition totale avec nos valeurs républicaines n’ont pas, n’ont plus, leur place.

Si la laïcité respecte la liberté de culte, elle n’autorise ni l’intégrisme ni le communautarisme. Nous l’avons oublié, alors que cette loi est le fondement de notre société. La France ne divise pas. Elle ne sépare pas en communautés libres d’appliquer leurs propres lois dans les quartiers où l’Etat n’intervient plus. Elle intègre. Elle permet de conserver sa culture, de pratiquer sa religion, d’avoir ses croyances, pourvu que celles-ci se pratiquent dans le privé et les lieux prévus à cet effet et, qu’en aucun cas, elles ne se placent au-dessus de nos lois républicaines. La laïcité est, me semble-t-il, une valeur simple à comprendre et à appliquer.

Ceux qui haïssent nos modes de vie, nos libertés, tout ce qui « fait France », sont nos ennemis. Ceux qui crachent sur cette fraternité, valeur fondatrice dont découlent toutes les autres, sont nos ennemis. Cette fraternité, nous la partageons au-delà du fait d’être Français de naissance ou d’adoption. Nous la partageons avec tous nos frères humains. Non parce que nous pratiquons la même religion ou la même culture, mais parce que nous partageons les même valeurs d’humanité. C’est ce qui fait “commun”, c’est ce qui fait que l’Humanité aspire à vivre en paix.

Nous ne pouvons plus regarder ailleurs. L’Etat ne peut plus regarder ailleurs. Il doit exiger de chaque citoyen qu’il s’oppose à ceux qui veulent la destruction de l’Humanité. Cette guerre-là ne sera gagnée qu’avec la solidarité de tous ceux qui partagent les mêmes valeurs humanistes. Chacun d’entre nous est garant du respect de ces valeurs.

À chacun de choisir son camp. Ce ne sont pas les croyances ou les religions qui empêchent de faire un choix, mais l’oubli de ce qu’est une république laïque bâtie sur les valeurs de Liberté, d’Égalité et de Fraternité. Des valeurs dévoyées depuis trop longtemps. Trop de Français ne savent plus ce qu’est la laïcité. Trop de Français ont oublié le sens du mot égalité. Trop de Français n’ont pas compris que la fraternité incarne ce commun qui peut nous sauver.

Il est temps de mettre un terme au sabotage de vocabulaire. Temps que les choses soient nommées et expliquées. Temps que nos valeurs humanistes soient respectées. Temps aussi d’empêcher notre sens de la tolérance et de l’accueil de se retourner contre nous. Tolérance ne signifie pas : droit de nous imposer des valeurs destructrices au nom de l’égalité des Droits et de la liberté d’expression.

Ceux, Français ou étrangers, qui veulent imposer leur vision du monde sans respecter nos valeurs fondamentales sont nos ennemis, qu’ils se trouvent à l’extérieur ou à l’intérieur de nos frontières. Faire la guerre, c’est aussi avoir le courage de définir le Mal, de nommer ses ennemis, de leur retirer tout pouvoir de nuire aux femmes et aux hommes qui veulent “faire France” et vivre en paix, quelles que soient leur patrie et leur culture originelles. Car ce qui fait France, ce n’est ni la religion, ni la couleur, ni l’origine ethnique, c’est cette envie de construire notre société autour de valeurs humanistes inaliénables et, à ce titre, non négociables.

Cette guerre ne pourra se gagner que militairement, mais elle ne pourra pas non plus se gagner sans la contribution de chaque citoyen à son petit niveau. Il faut le comprendre et l’accepter et, sans doute aussi, se montrer vigilants. Dans ce contexte de peur, de colère, il ne faut pas laisser récupérer cette lutte pour la vie et pour nos valeurs par des mouvements extrémistes qui se nourrissent de la colère et de la peur. Il ne faut pas que ces extrêmes, prêts à exploiter l’état de choc collectif de ces derniers jours, puissent diviser au lieu de rassembler autour de valeurs communes.

Soyons dignes des mouvements de solidarité qui affluent du monde entier depuis ces dernières heures. Soyons dignes des pères fondateurs qui ont contribué à faire de notre patrie le berceau des droits de l’Homme et montrons au monde que la France n’est pas qu’un concept ou une “exception culturelle”. Hissons bien haut les couleurs de nos valeurs et de notre laïcité. Montrons à tous que nous pouvons, ensemble, faire face et mener une guerre impitoyable aux ennemis de tout ce qui fait de nous des frères humains.



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En écho à cette tribune, lire « Ni hommes ni démons » (Les Di@logues Stratégiques, janvier 2012), en réaction au livre, L’élimination, du cinéaste Rithy Panh, rescapé des camps de travail khmers rouges.
Lire aussi : « Parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu« .
Voir aussi les très beaux portraits des victimes foudroyées ce 13 novembre publiés par Le Monde.