Légende vivante du sport automobile international et l’une des figures les plus titrées, Ari Vatanen a débuté la compétition en 1971. Champion du monde des rallyes en 1981 et champion des rallyes raids en 1997, il abandonne finalement la course automobile en 1999 lorsqu’il est élu Député finlandais au Parlement européen.
Véronique Anger : La Finlande dispose du réseau de téléphonie mobile le plus performant d’Europe. La majorité des Finlandais est connectée à internet depuis plusieurs années. Comment expliquez-vous le succès rapide des nouvelles technologies dans les pays du Nord et, en particulier, dans votre pays ?
Ari Vatanen : Il n’existe pas de monopole en Finlande. A l’exception des appels longue distance, toutes les autres communications peuvent être assurées par des entreprises privées. Cette situation a poussé, dès les années 60/70, les petites compagnies à s’équiper pour faire face à la concurrence interne, mais aussi étrangère.
Comment Nokia, par exemple, est-il devenu leader mondial ? Pour survivre face à Ericsson, Siemens ou Alcatel,… la seule solution consistait à investir et à innover. L’engouement des Finlandais pour les nouvelles technologies et, en particulier pour internet, découle de cette nécessité.
Comme vous le savez, la Finlande a perdu le marché soviétique du jour au lendemain. Il a donc fallu trouver de nouveaux marchés, de nouveaux débouchés. Pour un petit pays tel que le nôtre, être compétitif signifiait : savoir s’adapter très rapidement aux situations nouvelles.
Réussir notre « e-transformation » représente un nouveau challenge. A l’ère d’internet, avec pour conséquence la disparition des frontières et l’apparition du « village global », notre pays doit réagir très vite et adopter les nouvelles technologies.
Heureusement, grâce aux efforts déjà réalisés depuis des années par Nokia, ou d’autres sociétés de télécommunications, la Finlande a su saisir l’opportunité d’internet.
VA : Vous êtes l’une des figures les plus titrées du sport automobile international. Depuis 99, vous avez fait le choix d’abandonner la compétition pour vous consacrer à la politique. En quoi votre expérience de champion automobile vous a-t-elle aidé à remplir vos missions de Député européen ?
AV : En automobile comme en politique, il faut aller » à fond « … et moi, je vais toujours à fond ! Bien sûr, on peut me reprocher d’avoir manqué certaines victoires parce que j’ai parfois freiné trop tard avant l’obstacle… Je reste persuadé que les échecs sont aussi des enseignements. Ils ont forgé l’homme que je suis et, grâce à eux, j’ai beaucoup appris.
J’applique la même technique à la politique. En politique aussi, j’ai effectué quelques sorties de route. Qu’est-ce que la route ? Est-ce le » politiquement correct » ? Alors oui, je me suis échappé du politiquement correct qui, de mon point de vue, est souvent » moralement totalement incorrect « …
Je suis indépendant et je remplis mon mandat de Député européen comme s’il s’agissait du dernier, bien que ce soit mon premier. Je n’ai pas à tricher avec ma conscience, ou à subir quelque pression que ce soit, car je n’ai pas d’ambition politique (au sens de » carrière politique « ). Effectivement, je ne souhaite ni être Ministre dans mon pays, ni Président de telle ou telle Commission : « On s’engage et puis on voit » disait Napoléon Bonaparte…
Les politiques se croient immortels… Pour avoir frôlé la mort -lors de mon très grave accident de rallye, en Argentine en 1985- je reste humble face à l’avenir. Qui sait combien de temps il me reste à vivre ? Depuis cette épreuve, je perçois la vie comme un cadeau et je pense que chacun est unique.
» Chacun » ne se limite pas aux proches de sa famille ou à ses concitoyens. » Chacun » c’est aussi un petit garçon de Tombouctou ou un habitant du Kosovo.
En tant que Député européen, je travaille pour les Finlandais bien sûr. Je me sens » ambassadeur » de mon pays, mais sans pour autant sous-estimer ou dévaloriser la position d’un Grec ou d’un Malgache.
J’essaie, dans la mesure du possible, d’avoir une vision globale des problèmes. Le Parlement européen est un début, mais cela ne suffit pas. Il faudrait un Parlement mondial pour réellement examiner chaque question globalement.
VA : Le World Economic Forum s’est déroulé à New York ; les adversaires anti-mondialistes se réunissent à Porto Alegre : Quel regard portez-vous sur la mondialisation ? Pensez-vous que les acteurs du nouvel ordre économique » planétaire » parviendront à construire un monde plus équitable ?
AV : A mon sens, tout est lié : le commerce, les droits de l’homme, l’humanitaire. Personnellement, je milite pour une mondialisation équitable, civilisée.
Il me semble que les anti-mondialistes n’ont rien compris. Ils essaient surtout de protéger leurs petits privilèges en jouant la carte sensible de la nostalgie. Se préoccupent-ils vraiment de l’Afrique, de Madagascar ou du Maroc, qui essaient de faire accepter leurs produits sur le marché européen ? Je ne le crois pas…
Comment aider l’Algérie, l’Afghanistan, l’Iran,… à améliorer leur niveau de vie si ce n’est en dynamisant leur économie, et en leur permettant d’éduquer les populations, notamment les femmes ?
La construction d’un nouvel ordre économique équitable à l’échelle planétaire passe par une plus grande coopération entre les hommes, une répartition plus juste des richesses en « démolissant » les frontières.
Faut-il annuler les dettes des pays pauvres ? Pourquoi pas partiellement, si nous exigeons davantage de respect des droits de l’homme, de démocratie, et aussi de moyens pour éradiquer la corruption.
Afin de préserver ou de favoriser la démocratie, il faut remettre en question la souveraineté des Etats. La communauté internationale, la communauté européenne, doivent veiller à ce que des Milosevic en puissance ne puissent plus agir en toute impunité.
VA : Les NTIC (notamment le « cyberespace ») gomment les frontières et bouleversent les modes d’expression classiques. Des individus que rien ne prédisposait à se rencontrer (éloignement géographique et culturel) peuvent échanger des points de vue sur des sujets de préoccupations communs à la planète entière (environnement, mondialisation, éducation, clonage humain…), s’organiser en mouvements associatifs mondiaux,… Croyez-vous possible la création d’une « conscience planétaire » dans la société en réseau ?
AV : Nous revenons toujours à cette notion de village global ou de » famille globale « . Les frontières deviennent invisibles, artificielles. Il ne faut pas confondre globalisation et perte d’identité.
Si, toute sa vie, l’homme reste isolé, il connaîtra seulement sa famille, ses voisins, sa culture, sa langue. S’il est ouvert sur le reste du monde, il peut se situer par rapport aux autres et mieux comprendre des cultures étrangères. Une identité claire est la condition préalable pour découvrir le monde.
Comment un peuple ou un être humain matraqués dans leur pays peuvent-ils faire entendre leur voix ? De plus en plus, grâce au libre échange d’informations, en particulier au Net.
Bien sûr, Internet n’empêche pas les » guerres oubliées « . Mais il n’en demeure pas moins, à l’échelle mondiale, un outil fantastique de sensibilisation, d’information, de mobilisation, de prise de conscience et de développement économique.
VA : Vous avez pris position sur l’arrêt Perruche (dans un article pour Le Figaro). Pourquoi avez-vous souhaité vous exprimer sur ce sujet ?
AV : Pour moi, l’arrêt Perruche représente un point de départ moral symbolique. Il donne une valeur absolue à la vie.
Pourquoi un petit enfant -sous prétexte qu’il n’est pas encore né- serait moins protégé que n’importe quel animal ? Cette idée m’a profondément choqué. Sans être fondamentaliste, ma conviction est qu’il faut respecter la vie. Pour moi, celle-ci commence au moment de la fécondation, et son importance ne dépend ni de sa durée ni de caractéristiques physiques.
Je connais des familles où vivent des personnes handicapées, enfants ou adultes. J’ai constaté qu’il existait au moins autant, si ce n’est davantage, d’amour et de compassion dans ces foyers. Est-ce le handicap, la différence, qui nous touchent, nous font apprécier la vie, prendre conscience de sa valeur ?
Le droit à la vie est essentiel. Notre souci de la perfection aurait-il dû interdire à Stephen Hawking, l’un des physiciens les plus brillants de sa génération, de naître ? Qui donc est apte à juger ?
C’est la diversité qui nous rend tolérants et provoque la compassion. Pourquoi devrions-nous tous nous ressembler ? Dans la mosaïque de la vie, il n’y aura jamais trop de couleurs…