Véronique Anger : Pourquoi avoir choisi New York pour implanter votre nouveau restaurant ?
Version Anglaise
Chef de cuisine, chef d’entreprise, initiateur, artiste et découvreur de talents, … Alain Ducasse* est tout cela à la fois.
Ce grand nom de la gastronomie française, classé 94ème personnalité dans le monde par le magazine américain Forbes, connu dans le monde entier pour ses restaurants 3 étoiles au guide Michelin (Alain Ducasse au Plaza Athénée à Paris et Le Louis XV à Monaco) a su séduire les Etats-Unis.
En 2001, son restaurant, The Essex House de New York (Central Park South) a été élu meilleur restaurant de l’année par la James Beard Foundation.
Alain Ducasse : Comme Paris, New York est la ville de tous les défis. J’aime New York en tant que touriste. J’aime son dynamisme, j’aime y découvrir de nouvelles cultures, de nouveaux espaces de restauration. De plus, j’apprécie depuis longtemps les produits américains. C’est à San Francisco que j’ai goûté les meilleurs abricots confits !
Ville cosmopolite par excellence, New York me paraît le lieu idéal pour faire connaître et partager de nouvelles saveurs. Ce choix un peu stratégique vise aussi à renforcer la visibilité de la marque à l’international.
VA : En ouvrant un établissement supplémentaire, ne craignez-vous pas de vulgariser la marque Alain Ducasse ?
AD : En réalité, l’enseigne Alain Ducasse(1) est présente seulement à Monaco, à Paris et à New-York. Je tiens à cultiver la différence entre chacune de ces adresses. Pour chaque lieu, j’ai fait appel à un designer différent afin d’éviter un éventuel effet de chaîne. De plus, avec mes équipes, nous cuisinons des produits différents à Monaco, Paris ou New York. Même si les mets composés à New York subissent des influences méditerranéennes, nous nous attachons à proposer des plats différents. At The Essex House, la cuisine variée et originale allie les meilleurs produits du terroir américain au savoir-faire français.
VA : La gastronomie a-t-elle la même signification à Paris et à New York ? Selon vous, existe-t-il une réelle culture de l’art culinaire outre-atlantique ?
AD : Vous savez, aujourd’hui les secrets culinaires n’existent plus. La plupart des grands chefs publient des livres de recettes, les jeunes cuisiniers voyagent, les consommateurs également. Les frontières ne sont plus, depuis longtemps, un obstacle à la circulation des connaissances et des savoir-faire. Les Américains sont très amateurs de gastronomie française. Si Paris demeure la ville la plus représentative de la haute gastronomie, New-York est sans aucun doute la ville la plus innovante, la plus moderne, la plus créative, la plus « sexy ». C’est l’endroit du monde où il se passe le plus de choses.
A chacun de mes voyages, je suis étonné de faire encore de nouvelles découvertes. A la différence des Français, les Américains ne connaissent pas les barrières culturelles en matière de cuisine. Ils ont la faculté d’apprivoiser, d’intégrer et de mixer beaucoup plus facilement les influences étrangères.
VA : En dehors de vos restaurants, qu’est-ce qui fait courir Alain Ducasse. Qu’est-ce qui vous fait rêver ?
AD : Ce que j’aime dans mon métier, c’est qu’il rassemble tous les passionnés de l’art de vivre. Il favorise les rencontres avec des artisans, des artistes, des passionnés. Ce qui » me fait courir « , c’est aussi la possibilité qui m’est offerte de transmettre des connaissances, un savoir. Mes livres y contribuent ainsi que le Centre de Formation Alain Ducasse (CFD) réservé aux professionnels de l’hôtellerie et de la restauration.
Encouragé par le succès du centre parisien (ouvert en 1999) je suis en train d’étudier des partenariats avec des écoles existantes, au Japon, aux USA ainsi qu’en Espagne.
Enfin, au titre de Président de « Châteaux & Hôtels de France » depuis deux ans, je suis porteur du message de 532 maisons de caractère indépendantes, représentantes de la tradition et de la culture française. En digne ambassadeur, je débute ma tournée par Sydney, ensuite j’irai au Canada, puis aux Etats-Unis.
VA : « La cuisine, ce n’est pas seulement de l’invention greffée sur la nature, c’est aussi de la technique, des instruments, de l’organisation, de la gestion » écrit Jean-François Revel dans « L’Atelier de Alain Ducasse ». Comment réussissez-vous à composer et à gérer vos équipes à distance ?
AD : J’ai une idée moderne de la gestion des équipes. Mon rôle consiste à donner le tempo, à anticiper la tendance pour les trois ou six mois à venir. Je suis davantage un « designer » culinaire qu’un « acteur cuisinier ». Je suis l’un des premiers chefs de cuisine à avoir osé affirmer qu’il était possible de servir de la très grande cuisine sans être soi-même présent derrière les fourneaux.
Je pense en effet que, tel un maître de musique, un chef écrit une partition qui peut être interprétée par un orchestre bien entraîné et bien dirigé. Bien évidemment, cela suppose une organisation spécifique et beaucoup de rigueur. La clé du succès étant la qualité, il faut pouvoir se reposer en toute confiance sur des équipes énergiques, solides, formées à l’école Ducasse. Après des années de complicité avec mes chefs, mes cuisiniers ou mes pâtissiers, l’osmose est parfaite.
La réussite dépend de la capacité à fédérer, à mobiliser hommes ou femmes et à les faire évoluer. Je m’attache donc à leur transmettre un savoir, une culture d’entreprise forte. La formation est également ma réponse à la pénurie de personnel qui sévit dans notre activité.
L’entreprise encourage la mobilité géographique et professionnelle dans les différents établissements Alain Ducasse. Plus de 35 nationalités se côtoient dans nos cuisines ; autant de cultures qui participent à un perpétuel échange créateur.
J’essaie d’aider mes collaborateurs à grandir avec l’entreprise. Pour cela, il faut savoir écouter les désirs des uns et des autres. Lorsqu’il m’est impossible de satisfaire une demande, je m’adresse à un confrère.
L’entreprise garde le contact avec tous les ex-employés, sachant qu’un jour ou l’autre elle aura peut-être une proposition à leur faire. Riches d’une expérience complémentaire (un autre métier, un autre pays,…) certains réintégreront la maison. Fait significatif, la quasi-totalité de l’encadrement est choisi en interne.
VA : Votre cuisine renoue avec une cuisine naturelle, les produits du terroir. Les consommateurs ont parfois perdu le goût, l’habitude de consommer des produits traditionnels. Comment percevez-vous l’évolution des habitudes alimentaires et de votre métier ?
AD : Je dis souvent que la grande cuisine repose d’abord sur l’authenticité des produits, leur qualité, leur fraîcheur. Je maintiens que l’excellence du produit prime sur celle du chef et non l’inverse. Tout connaisseur gastronome sait que la provenance de tel poisson, tel légume ou tel fruit est au moins aussi précieuse que la façon de les cuisiner.
Je constate que, si la productivité s’accroît, la qualité des produits alimentaires s’améliore également. Ils sont généralement meilleurs et moins chers qu’il y a une dizaine d’années. La grande distribution affiche les origines, les labels se développent. Je trouve cela plutôt rassurant.
Il est important de ne pas sacrifier, sur l’autel de la productivité, certaines espèces végétales ou animales à faible rendement. Dénicher un produit ne provenant pas d’un élevage est devenu exceptionnel. Il faut donc rester vigilant et se battre pour que subsistent des produits de qualité. Le triste exemple de la vache folle suffit à nous le rappeler…
La cuisine n’est pas un domaine statique, bien au contraire. Inventive, en constante évolution, elle est le reflet d’une société qui bouge. Le consommateur du XXIème siècle réclame plus d’épices, plus de céréales, plus de nouveautés et d’exotisme. A chaque moment de vie correspond une façon de se nourrir. Epoque oblige, c’est un » zappeur « , qui a envie de goûter à tout. S’il est attiré par d’autres cultures, plus de couleurs, et curieux de nouvelles saveurs, de nouvelles associations ou d’autres comportements alimentaires, il demeure soupçonneux sur ce que contient son assiette. La tendance naturelle est à une nourriture saine et équilibrée, plus simple et moins riche. Je pense que l’idéal pour le consommateur comme pour le chef est de s’imprégner de divers courants culinaires sans rien perdre de ses traditions.
VA : Comment inventez-vous de nouveaux plats ? L’idée germe-t-elle longtemps dans votre esprit ou est-ce une création plus spontanée ?
AD : Je profite de mes voyages pour me rendre sur les marchés du monde entier. Où que je sois (Tokyo, Nairobi, Manhattan, …) tel un explorateur du siècle dernier, je parcours les quartiers populaires où je puise une partie de mon inspiration. La cuisine populaire et le marché sont le miroir de la culture locale.
J’observe comment vivent les populations, comment elles se nourrissent, boivent, se soignent, travaillent, communiquent, … Les marchés vous renseignent efficacement sur les courants alimentaires d’une nation.
VA : Si vous n’aviez pas été chef de cuisine, quel autre métier auriez-vous aimé exercer ?
AD : Si je n’avais pas exercé ce métier que j’adore, j’aurais aimé être grand voyageur. Et si je n’avais pas été voyageur, j’aurais choisi le métier d’architecte. En dehors de la cuisine, les voyages sont ma grande passion. J’ai la chance de pouvoir réaliser mes désirs puisque je cuisine, je voyage beaucoup et je participe au design de mes restaurants…
(1) Alain Ducasse at the Essex House a fermé ses portes en janvier 2007. En Septembre 2006, le Groupe Alain Ducasse a annoncé l’ouverture d’un nouveau restaurant à l’Hôtel Saint Regis à New York pour le printemps 2007.
*Alain Ducasse est l’un des plus célèbres chefs français. Connu non seulement pour sa cuisine française incomparable, il a également développé des concepts de restauration innovants, reflets d’influences internationales. En 2003, les professionnels de l’American Academy of Hospitality Sciences lui ont décerné le titre de » meilleur cuisinier du monde « . La Groupe Alain Ducasse totalise 14 étoiles au Guide Michelin. Alain Ducasse a publié 4 tomes dans sa collection Grand Livre de Cuisine (Editions Alain Ducasse). Pour en savoir plus : http://www.alain-ducasse.com
Les restaurants d’Alain Ducasse :
Alain Ducasse At The Essex House, 155 West 58th Street NY 10019 – New York USA. Tél: +1 212 265 7300. e-mail :adny@alain-ducasse.com.
Alain Ducasse au Plaza Athénée, Hôtel Plaza Athénée – 25 Avenue Montaigne – 75008 Paris. Tél : +33 (0)1 53 67 65 00. e-mail : adpa@alain-ducasse.com
Le Louis XV-Alain Ducasse, Hôtel de Paris – Place du Casino -MC 98000 Monaco. Tél : +377 98 06 88 64. e-mail :lelouisxv@alain-ducasse.com
Beige-Alain Ducasse : Ginza Chanel Building 10F – 3-5-3 Ginza Chuo-ku – Tokyo – Japan. Tél : + 81 351 59 5500. e-mail : res@beige.co.jp
Les maisons d’Alain Ducasse :
La Bastide de Moustiers, Chemin Quinson – 04360 Moustiers-Sainte-Marie
Tél : +33 (0)4 92 70 47 47 . e-mail : contact@bastide-moustiers.com
L’Hostellerie de l’Abbaye de la Celle, 83170 La Celle en Provence
Tél: +33 (0)4 98 05 14 14 . E-mail : reception@abbayedelacelle.com
Ostapé, Domaine Chahatoenia – 64780 Bidarray. Tél : +33 (0)5 59 37 91 91
e-mail : contact@ostape.com
L’Andana-Tenuta la Badiola – Località Badiola, Castiglione della Pescaia 58043 (GR) – Italie. Tél: + 39 (0)564 944 800. e-mail: info@andana.it
Domanie des Andéols, 84490 Saint-Saturnin-lés-Apt. Tél : +33 (0)4 90 75 50 63 e-mail :info@domaine-des-andeols.com
Photos et illustrations extraites du site Alain Ducasse
Alain DUCASSE, Un Français à New-York
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- Les Di@logues Strategiques on 2 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques
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(Les Di@logues Stratégiques® N°25 – 02/02)