Maîtriser l’intelligence économique : une nouvelle guerre mondiale?
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- Les Di@logues Strategiques on 2 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques Non classé




(Les Di@logues Stratégiques® N°3 – 09/00)

Version Anglaise

Ex civil de la Défense sous contrat, Bruno Delamotte a fondé son Cabinet en 1994. Spécialisé en stratégie internationale et en sécurité, Bruno Delamotte Consultants, s’appuie sur des ressources locales et un savoir-faire original pour apporter une réponse efficace aux questions liées à la sécurité.

Véronique Anger : En quoi consiste votre métier d’expert en stratégie internationale et en sécurité ? Comment intervenez-vous ? Quelle est votre originalité ?
Bruno Delamotte : Notre métier consiste à aider les entreprises déjà installées ou qui envisagent de s’implanter à l’étranger à déterminer, évaluer et prévenir les facteurs de risques humains et matériels auxquels elles peuvent être confrontées.
Notre domaine d’intervention est vaste. Nous agissons, en toute confidentialité, pour le compte de très grands groupes, dans le monde entier (Afrique, Amérique Latine, Asie, Europe, Moyen-Orient, …).
A la différence des grands cabinets d’audit internationaux, nous ne nous limitons pas à constater des faits ou à élaborer une stratégie de recherche, nous sommes opérationnels sur le terrain et ce, n’importe où sur le globe. C’est ce qui fait notre force et notre singularité. Notre originalité tient également au fait que nous intervenons en amont (analyse et recommandations) et en aval (accompagnement du client pour la mise en œuvre, recrutement et formation de Cadres responsables Sécurité, audits de suivi et actions correctives).


VA : Pour pouvoir offrir une telle palette de services, une vision globale de la situation est indispensable…
BD : En effet, cela implique une parfaite connaissance de l’environnement socio-économique, politique, voire militaire, du site.
Nous entretenons des relations avec les réseaux locaux. Ainsi, nous devons pouvoir joindre très rapidement des agents de rébellion en Amérique du Sud, des chefs de guérillas en Afrique, ou des bandes mafieuses en Asie. Tous ces liens serviront de leviers (par exemple, pour faire libérer des otages). Le cas s’est présenté plusieurs fois, et a permis de gagner un temps précieux. Notre objectif n’est pas de nuire aux intérêts du pays d’accueil, mais à travailler en bonne intelligence avec lui pour aider notre client à y renforcer son assise.
Nous sommes également en contact avec certains Services officiels français et étrangers. Ne pouvant être présents partout, ceux-ci ont parfois besoin d’informateurs privés susceptibles de leur apporter un éclairage objectif et professionnel sur une situation particulière. Nous pouvons parler de « passerelles » ou « d’échanges de bons procédés », mais en aucun cas d’une extension des Services de renseignement.
Il ne faut pas oublier que la plupart des Directeurs Sécurité des grands groupes -nos interlocuteurs privilégiés- sont issus de ces Services… Certains de nos Cadres aussi.
Nous choisissons nos missions dans le strict respect des intérêts français. Cela étant, notre Cabinet est totalement indépendant et privé. A ce titre, nous n’avons de compte à rendre à personne d’autre qu’à nos clients.


VA : Est-il indiscret de nous citer quelques exemples de missions récentes ?
BD : Je ne peux évidemment pas nommer nos clients, la première chose que je leur dois est la confidentialité. Je peux vous dire que nous répondons régulièrement à des demandes d’informations précises (sur le tissu concurrentiel d’une région ou d’un pays par exemple) ; nous menons des actions visant à protéger le savoir intellectuel ou technologique d’une société ; à préserver nos clients de la fraude, de la corruption, voire des problèmes de drogue ou d’enlèvement.
Suivant les cas (et les budgets…) nous déciderons d’envoyer des Français le temps nécessaire à la mission, ou alors de faire appel à ressources présentes sur le territoire. Il est clair que détacher une dizaine de compatriotes pendant des mois pour superviser une équipe de sécurité à l’autre bout de la planète va générer des coûts qui peuvent paraître astronomiques, mais c’est parfois indispensable. Il faut voir « si le jeu en vaut la chandelle ».
Nous venons d’achever une mission en Asie. Il s’agit d’un contrat assez classique, qui a débuté par l’évaluation de la menace avec le client. Après sept mois de collaboration, nous avons créé le Service Sûreté. Nous avons recruté les Cadres, nous les avons formés et « accompagnés » au cours des premières semaines. A l’automne, nous validerons l’organisation et les procédures mises en place. Si nécessaire, nous proposerons des améliorations et des mesures correctives.
Je peux citer également notre dernière action en Colombie. Nous étions chargés de protéger une équipe d’expatriés contre les risques inhérents à ce pays (enlèvement, drogue, guérilla,..). Nous avons dû les rassurer avant de commencer réellement notre travail. Des rumeurs circulaient dans la ville évoquant certaines menaces contre leur sécurité. Elles étaient infondées, nous avons pu le prouver.
Pour l’anecdote, un industriel nous a mis au défi de le renseigner sur l’informatique d’une de ses filiales à l’étranger. « De quoi avez-vous besoin ? » nous demande-t-il. Réponse : « Une chambre d’hôtel équipée d’une prise de courant et d’une fiche téléphonique suffiront ». Quatre jours plus tard, nous en avions visité le réseau informatique complet. Nous avons ainsi mis à jour deux sous-réseaux dont nos clients ignoraient totalement l’existence…


VA : Pensez-vous, qu’il existe, dans l’entreprise, une différence entre renseignement et information ?
BD : Imaginez que vous ayez un groupe d’expatriés en Colombie. Pourquoi le suivi de la situation au jour le jour s’appellerait « veille » parce qu’il ne se passe rien d’anormal, et « renseignement » sous prétexte qu’une tentative de vol ou de rapt a été déjouée?
Aujourd’hui, l’information stratégique relève d’un processus global. Il ne serait donc pas pertinent de la segmenter en catégories (veille, renseignement, …) et, mon avis, il n’existe pas de différence fondamentale. Je dirais que le renseignement est l’information disponible au moment opportun.


VA : Selon vous, une guerre mondiale économique se joue-t-elle à travers la lutte pour la maîtrise de l’information ?
BD : Les entreprises qui domineront le marché demain sont celles qui sauront à la fois trouver la bonne information au bon moment et se protéger efficacement.
Certaines entreprises françaises sont de véritables « maisons de verre ». Souvent, elles ont investi massivement dans le recueil, la recherche, ou l’acquisition d’informations économiques, sans se préoccuper de la protection de leurs données. Les conséquences peuvent être désastreuses.
C’est un vrai problème culturel, car la plupart des grands groupes négligent encore leur stratégie défensive. Dans les faits, ils se limitent à quelques directives administratives, de surcroît rarement appliquées.
Je puis vous assurer que nous avons réussi à pénétrer dans 90% des systèmes informatiques de nos clients ! Cela nous a demandé de deux heures à trois semaines, selon le niveau de sécurité. Je vous laisse imaginer leur surprise lorsque nous leur avons présenté des classeurs entiers d’informations extraites de leurs bases les plus sensibles… Ils avaient certes demandé la mission, mais s’estimaient bien protégés.
J’insiste, mais renforcer la sécurité informatique doit être un état d’esprit permanent. Par exemple, les Cadres en déplacement ne se méfient jamais trop. Je pense, en particulier, à l’espionnage qui sévit dans les grands hôtels.
Je peux vous raconter une histoire qui s’est déroulée en 99, dans un palace de Mexico, pendant la réunion des managers d’une multinationale nouvellement établie au Mexique.
Appelé à l’accueil, le responsable visé quitte sa suite. Ne voyant personne, il regagne sa chambre et bien sûr, dans l’intervalle, son PC a disparu.
Nous découvrons, après une heure de discussion  »serrée » avec la  »victime », que l’ordinateur contenait le plan stratégique du groupe pour les trois prochaines années. Après avoir visionné les enregistrements vidéo (les couloirs étant sous surveillance) il a paru évident que le voleur (vêtu d’un costume visiblement sorti de chez un très bon faiseur, portant chaussures et cravate de luxe) n’avait rien d’un rat d’hôtel… Très vite, nous avons eu la preuve qu’il s’agissait d’un professionnel, commandité par un concurrent américain. Des mésaventures de ce type sont de plus en plus fréquentes à l’étranger, mais aussi à Paris !
L’espionnage industriel est en plein essor. C’est effectivement la guerre et tous les coups sont permis !


Plus d’infos sur la sécurité informatique : http://www.idc.fr/presse/cp_cybercrime.htm