Véronique Anger : La « cyberdémocratie » est-elle garante d’une éthique sociale ? Comment, selon vous, vont s’appliquer les concepts fondateurs de notre société : »Liberté, Egalité, Fraternité » ?
La 21ème Université d’Eté de la Communication s’est ouverte le 21 août pour une semaine non stop de conférences, débats et rencontres professionnelles à Hourtin, près de Bordeaux. Avec une fréquentation croissante d’année en année, cette manifestation accueille cet été 400 intervenants et animateurs pour plus de 5 000 visiteurs.
Un beau succès pour son fondateur et Délégué général, Marcel Desvergne*, qui a choisi le thème « Liberté, Egalité, Fraternité ! » pour son édition de l’an 2000. Preuve, s’il en fallait, qu’à l’aube du troisième millénaire, les valeurs essentielles de la République demeurent plus que jamais d’actualité.
Marcel Desvergne : Nous ne sommes qu’aux balbutiements de cette « cybersociété ». Tout reste à inventer. A mesure que nous découvrons collectivement de nouveaux modes de communication, de nouvelles façons de vivre en société, … des problèmes d’éthique se posent, en particulier sociale, car le phénomène concerne tout le monde.
Aujourd’hui, grâce à Internet, tout individu, tout citoyen, a la possibilité d’exprimer ses idées à l’échelle mondiale… mais aussi de se noyer dans un océan d’informations !
Ce phénomène, qui bouleverse comportements et relations humaines et modifie nos repères, nous oblige à repenser les concepts fondateurs de notre société dans le contexte de la mondialisation.
VA : Historiquement, la France reste attachée aux valeurs républicaines. Cependant, ainsi que vous l’avez souligné, la société de l’information bouscule nos références et remet en cause nos équilibres. Comment allons-nous préserver notre singularité ?
MD : Avec la Révolution française, notre modèle est devenu une référence mondiale. Les autres pays ne l’ont pas appliqué pour autant… mais il peut servir d’exemple pour construire la société de l’information.
Dans le cadre de la diversité mondiale, je suis convaincu que nos valeurs républicaines sont aussi pertinentes que celles de l’Amérique du Nord, qui reposent sur la création de richesses et la productivité.
VA : Sur le Net, ce sont les grands groupes économiques, financiers ou politiques qui détiennent le pouvoir, le Net libertaire ne serait donc qu’une utopie…
MD : Bien entendu. Le sentiment « libertaire » est lié au fait que tout le monde peut utiliser les technologies de l’information et de la communication.
L’exemple des radios locales privées, des radios libres ou des télévisions communautaires, illustre parfaitement la transformation d’un système libertaire en un modèle organisé et réglementé. Les enjeux économiques et financiers sont tels qu’un processus libertaire n’est pas imaginable.
Qu’on le veuille ou non, les acteurs de la société de l’information (les grands groupes industriels et financiers) mènent un combat quotidien pour le contrôle des réseaux et des contenus, et donc imposer leurs valeurs et leurs modes de pensée.
Dans ce processus totalement évolutif, l’enjeu est d’autant plus décisif qu’il est également idéologique.
VA : Avec 500 millions d’internautes attendus d’ici à 2003 (soit 8 à 10% de la population mondiale) le Net semble démultiplier le phénomène tribal à l’échelle mondiale. Chaque pays, chaque groupe idéologique, culturel, identitaire, essaie de préserver son originalité. Dans ce contexte, qu’en est-il de la Fraternité ?
MD : C’est vrai, le Net permet à la tribu « éclatée », qu’il s’agisse de la famille ou de groupes constitués, de conserver un lien à des milliers de kilomètres de distance.
Même si, de tout temps, l’individu a pu transmettre des messages (idées ou idéologies), l’impact de son action est longtemps restée limité à ses déplacements, puis à la puissance des médias (papier et audiovisuel).
Lorsque nous évoquons la société en réseaux, il ne faut pas négliger l’importance du pluriel. Il existe un empilement de réseaux qui s’interpénètrent, sans forcément se recouper.
La société en réseaux favorise l’émergence des process identitaires. Chaque être humain peut facilement, et à tout moment, se fondre dans le (ou les) groupe(s) correspondant à ses affinités, ses valeurs, ou son idéologie. C’est dans cette logique que le mot « fraternité » peut s’appliquer.
Nous avions peur que le réseau mondial déshumanise les relations en supprimant les contacts physiques. Il apparaît, au contraire, qu’il ajoute une dimension supplémentaire à la notion de fraternité.
VA : Comment préserver son identité sans bercer dans le nationalisme ?
MD : Certains individus ou mouvements n’hésitent pas à utiliser les réseaux pour véhiculer des idées nationalistes ou extrémistes. C’est donc une question à laquelle nous devons réfléchir sérieusement. Le paradoxe de la société de l’information réside dans le fait qu’elle permet à la fois une formidable ouverture sur l’extérieur tout en présentant le risque d’un enfermement dans sa « tribu » d’appartenance.
A nous d’imaginer une société de l’information qui permette de préserver nos propres valeurs tout en nous ouvrant aux autres.
*Marcel Desvergne est également Membre du Conseil d’Administration des Sociétés des Lecteurs du Monde, dont Alain Minc est Président. Pour en savoir plus sur l’Université de la Communication : http://www.crepac.com
Aujourd’hui, Marcel Desvergne est président d’Aquitaine Europe Communication et initiateur des Entretiens des Civilisations Numériques (7 et 8 juillet prochains à Margaux dans le Bordelais). Pour en savoir plus : » LES ENTRETIENS DES CIVILISATIONS NUMERIQUES : construire ensemble des scénarios d’évolution pour l’avenir« .
De la cyberdémocratie dans la société de l’information
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- Les Di@logues Strategiques on 2 mai 2010 inLes Di@logues Strategiques
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(Les Di@logues Stratégiques® N°1 – 08/00)