Conclusion de la journée
par Joël de Rosnay

 

 

 

« Quelques mots, quelques réflexions que j’ai pêchées par-ci par-là en écoutant les intervenants tout au long de cette journée, qui me serviront de base pour le futur.

J’ai parlé de décalage tout à l’heure avec Laure Belot, et je vais maintenant parler de divergence. Dans tout ce qui a été dit, j’ai senti une incroyable divergence entre une culture et une forme de management. Une culture des élites, de la non compréhension de l’écosystème numérique dans lequel nous vivons, à part les Millennials. Il y a une divergence entre les formes de management de la complexité : on en revient à la simplification cartésienne, et c’est une erreur fondamentale pour manager le monde moderne.

L’autre mot qui m’a frappé est cette notion constante de réinvention. Réinventer le travail à l’époque où les robots vont détruire une partie de ceux des cols bleus, mais aussi des cols blancs. La réinvention de l’éducation. La réinvention de l’intelligence. J‘ai expliqué que nous avions besoin de repenser ce qu’est l’intelligence par rapport à l’intelligence des machines, la réinvention de nos relations avec l’environnement, et surtout se réinventer soi-même.

Jean-Paul Delevoye l’a très bien dit quand il a parlé du risque et du droit à l’erreur. Se réinventer, réinventer autour de soi implique une prise de risque. Et ce risque nécessite le droit à l’erreur. On peut faire des essais et des erreurs, malheureusement dans notre pays, nos élites ne reconnaissent pas le droit à l’erreur et quand on s’est trompé, on s’est trompé pour la vie.

Il y a eu aussi cette notion très importante : « dans quel monde voulons-nous vivre ? ». Evidemment, beaucoup de choses ont été dites de façon (…) intelligente, et moi je voudrais vous dire dans quel monde je ne voudrais pas vivre. Je ne veux pas vivre dans un monde trop hyper branché, trop technologique, qui négligera le lien social et le lien humain, et surtout je ne veux pas vivre dans un monde qui sera géré par des transhumanistes.

Je pense que le transhumanisme est à la fois égoïste, élitiste et narcissique. Le transhumanisme se concentre sur l’individu, presque sur l’eugénisme, alors que la solution qui a été décrite ici c’est le « Co ». Co-économie, société collaborative. Collectif dans le sens le plus noble du terme. Pas le collectivisme, mais l’individu dans le groupe collectif connecté, qui est plus lui même que tout seul, quand il est connecté aux autres. Donc, le transhumanisme non, et ce mot que j’ai employé, et vous le lirez (…) dans mon article paru dans L’Obs Le Plus sur « l’hyper humanisme(1) ». (…) c’est une théorie que je défends depuis longtemps, notamment dans mon livre L’Homme symbiotique -et je remercie Abdennour Bidar d’avoir prononcé ce terme de « lien symbiotique » auquel je tiens énormément-

L’humain peut être encore plus humain, relié à quelque chose d’encore plus grand que lui ou elle. Quand on appartiendra à un organisme vivant que nous construisons de l’intérieur comme un cerveau planétaire ou un macro-organisme planétaire, dont nous sommes les cellules connectées entre elles, à ce moment-là, nous allons libérer des espaces de notre cerveau (beaucoup de travaux sur le cerveau dans le monde vont dans ce sens) qui aujourd’hui nous sont encore totalement inconnues. C’est ce que j’appelle (…) l’hyper humanisme.

Enfin quel espoir nous donnent les politiques ? On a beaucoup parlé dans les débats du sens : donner du sens à notre vie. Est-ce que le sens se fonde sur la lutte contre ou l’espoir pour ? Tout ce que nous entendons dans le sens politique, c’est très souvent la lutte contre… Bien entendu, la lutte contre le chômage, le réchauffement climatique, contre les inégalités, contre DAESH.

Mais l’espoir pour quoi  ? (…) j’aimerais entendre parler de l’espoir pour la jeunesse, de l’espoir pour les seniors, de l’espoir pour la diversité culturelle… Cette notion d’espoir est une question de motivation pour l’avenir. Or nous sommes, en France, l’un des pays les plus sceptiques de l’Europe ! Les sondages le montrent. Le scepticisme, la négation de l’avenir, la peur de l’avenir nous frappent et sont inscrits chez nous.

Notre cerveau, vous ne le savez peut-être pas, est beaucoup plus programmé pour la survie que pour le bonheur. C’est pourquoi nous retenons (…) plus les mauvaises nouvelles que les bonnes (…). Sous un angle darwinien : lorsque nous voyons –et demandons- aux journalistes de nous renvoyer des images de catastrophes, on se pose toujours la question de savoir à la place des autres, si j’y étais comment je m’échapperais. Cette mémorisation de la catastrophe permet, au cas où cela arrive, de survivre, de faire des enfants, de prolonger l’humanité. Et sur un plan darwinien, c’est un avantage sélectif. Donc, nous avons un cerveau programmé pour la survie par pour le bonheur, d’où ce sentiment constant de scepticisme, de doute et d’impression que tout va aller encore plus mal.

Le Forum nous a montré qu’on pouvait aussi et surtout ne pas être seulement optimiste, mais (…) constructif et pragmatique. J’insiste sur ces mots. Le Forum Changer d’Ère cette année, est constructif, pragmatique, réaliste. Pour les personnes qui sont dans cette salle, je leur souhaite la réussite non pas des plus malins, mais des plus humains. ».